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dimanche 12 janvier 2014

ARIEL SHARON : UN DEUIL CONTROVERSÉ



ARIEL SHARON : UN DEUIL CONTROVERSÉ 

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
            
           

          Pour une fois les Palestiniens et les nationalistes israéliens vont se retrouver unis pour se réjouir de la mort d’Ariel Sharon, pour des raisons bien sûr opposées. Pour les uns parce qu’il les avait combattus avec fermeté et pour les autres parce qu’il avait assoupli sa position radicale par souci de pragmatisme. 

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Unité 101


Les chefs de l'unité 101


Les Palestiniens ne se souviendront que du «boucher de Beyrouth», comme ils aimaient à le qualifier, et surtout du chef de l’unité spéciale 101, composée au départ de 50 hommes aguerris et mise en place par Ben Gourion, en 1953, pour protéger les kibboutzim frontaliers et les populations civiles soumises aux attaques quotidiennes. L’unité avait pour mission d’intervenir directement en Jordanie dans les camps des terroristes qui n’étaient pas alors qualifiés de palestiniens mais de fédayins. Les Palestiniens gardent aussi en mémoire la virée militaire d’Ariel Sharon contre la ville de Qibya qui avait fait 69 morts arabes parmi les combattants et les civils. Pour lui, les représailles brutales adressaient aux terroristes un message clair et sans ambiguïté afin de les forcer à cesser les attaques quotidiennes contre les civils. 
Qibya après l'opération

Cette unité 101 avait aussi été envoyée sur le front de Gaza, lors de la Guerre des Six-jours, pour éliminer les fedayin armés réfugiés dans les camps de Jabālīyah. Sharon n’avait pas fait dans la demi-mesure et il avait utilisé la méthode forte en dégageant les rues du camp au bulldozer pour faciliter le déplacement des troupes israéliennes. Mais la plus grande plaie et le souvenir le plus brûlant pour les Palestiniens restent son combat implacable contre l’OLP, durant l’invasion du Liban en 1982. Ils l’avaient alors accusé à tort d’avoir favorisé le massacre des camps Sabra et Chatila en 1982 qui avait été pourtant l’œuvre des milices chrétiennes libanaises.

Les Palestiniens avaient peu apprécié qu’Ariel Sharon affiche ouvertement l’appartenance à Israël de l'esplanade du Temple lorsqu’il avait décidé de visiter la mosquée Al-Aqsa le 28 décembre 2000. Cela déclencha d’ailleurs des manifestations de masse, réprimées violemment, avec pour conséquence la deuxième Intifada. Ce fut l’occasion, le 29 mars 2002, du lancement de l'opération Rempart avec la décision de réoccuper toutes les villes de Cisjordanie. Il fut enfin à l’origine de la construction de la clôture qui sépara définitivement Israël de la Cisjordanie en bloquant la circulation des terroristes. Son souvenir reste physiquement présent en Cisjordanie.
 

Il avait décidé de s'attaquer à l'Autorité palestinienne plutôt qu’aux islamistes parce qu’il voulait l'annihilation politique des Palestiniens. Il avait donc axé son combat principal sur l’affaiblissement de Yasser Arafat, non sans avoir donné l’ordre de ne pas le tuer pour ne pas en faire un martyr car, affaibli, le leader palestinien perdait de son aura. A l'occasion d'une opération militaire de grande envergure, les blindés et les troupes d'élite de Tsahal avaient investi, puis détruit partiellement, le siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah. En encerclant le vieux leader dans la Mouquata, Sharon avait réussi à le neutraliser et à l’humilier dans une bataille impitoyable qui marquera profondément les Palestiniens. Ils retiendront ainsi la leçon de la détermination des Israéliens et ils s'en souviendront jusqu'à ce jour pour ne jamais déclencher la troisième Intifada.



Adulé par la majorité israélienne


Moshé Dayan et Ariel Sharon


Ariel Sharon était adulé par la majorité de la population israélienne parce qu’il symbolisait l’homme capable de résister aux Arabes et d’assurer la sécurité du pays. Il avait en effet prouvé qu’il savait répondre aux attaques terroristes par la force. Héros de toutes les guerres du pays, il était considéré comme le sauveur d’Israël au cours de la guerre du Kippour durant laquelle il n’avait pas hésité à qualifier d’incompétents les généraux de l’État-Major qui n’ont pas cessé d’ailleurs de le marginaliser. 

Il se comporta en électron libre sur le terrain tant il s’opposa à leur stratégie militaire pleine de lacunes. Contre la volonté de ses chefs, il avait pris la décision d’ordonner à sa division blindée de traverser le Canal de Suez pour prendre les armées égyptiennes à revers. Il avait rapidement compris que ce mouvement tactique permettait  de couper l’approvisionnement de la Deuxième armée égyptienne dans le Sinaï et d’encercler la Troisième. Grâce à son génie militaire, il avait ainsi donné la victoire à Israël dans une guerre qui avait sérieusement mis en danger l’existence même du pays et qui avait fait le plus de morts parmi les soldats.

Mais les nationalistes israéliens purs et durs n’ont pas été au niveau de son génie politique et le divorce fut prononcé au cours de l’année 2005. Ils l’ont accusé d’être à l’origine de l’effondrement des partis de droite, et du Likoud en particulier, parce qu’il avait créé son parti Kadima qui avait siphonné les voix de droite et de gauche. Cela lui servit de levier pour prendre la place de premier ministre avec à la clé une majorité pour évacuer sans condition Gaza. En bon stratège politique, il avait compris qu’Israël n’avait aucun intérêt à une région qui coûtait cher en soldats et en budget, pour un résultat contestable. Il ordonna l’évacuation, sans conditions, de 8.500 habitants juifs des implantations dans un délai éclair. Cela ne lui fut jamais pardonné, encore aujourd'hui, par ceux qui le considèrent comme un traitre à la cause sioniste. 

Mais les nationalistes avaient interprété cet acte d'évacuation comme un préliminaire à un retrait de Cisjordanie et ils s’y opposèrent en mobilisant les forces religieuses qui inspiraient les habitants des implantations. Le rabbin d’extrême-droite Yossi Dayan avait imploré ses rabbins et guides spirituels de lancer une pulsa denura, genre de fatwa juive, afin d’invoquer les feux du ciel pour foudroyer la personnalité maudite d’Ariel Sharon. La mort était selon lui le «dernier espoir» de faire capoter son plan et il avait affirmé : «Oui, je souhaite la mort d'Ariel Sharon et je suis prêt à lui lancer une pulsa denura. Sharon mérite la mort parce qu'il met en danger les Juifs, le sionisme et 2 000 ans de prières pour le retour sur la terre promise».

Encore aujourd’hui nombreux dans ce même clan condamnent la personnalité de Sharon, jusqu’à se réjouir de sa mort, alors que la majorité des Israéliens l’approuvaient. D’ailleurs l’écrivain de gauche David Grossman avait écrit : «Sharon est devenu une sorte de figure paternelle que les Israéliens sont prêts à suivre, les yeux fermés. Les Israéliens ont préféré mettre leur avenir entre les mains de Sharon, quitte à suspendre leur jugement personnel en lui disant : on vous fait confiance pour faire ce qui est bien pour nous, et on ne veut surtout pas en connaître les détails».



Incompréhension




Mais Sharon n’a pas été compris par les nationalistes car il a quitté Gaza, qui n’était pas considéré par lui comme d’intérêt national, pour mieux défendre les implantations juives de Cisjordanie. Il avait formellement déclaré en 2005 : «Je n’ai jamais pensé que la petite société juive de Gaza, sept ou huit milles Israéliens qui vivent au milieu d’un million et demi de Palestiniens dont le nombre augmente sans cesse, puisse devenir majoritaire. Je n’ai jamais pensé que cela deviendrait une partie inaliénable de l’État d’Israël; c’est pour cela que j’ai décidé ce retrait. Nous sommes encore dans une phase de préparation du plan. Il faut d’abord en finir avec le terrorisme et les appels à la violence.»

 En fait, il avait conçu cette stratégie de Gaza pour saboter toute négociation et pour bloquer la création d’un État palestinien en créant la partition entre Gaza et Cisjordanie. D’ailleurs, il s’était toujours montré opposés aux accords d’Oslo de 1993. Mais il était trop rusé pour des extrémistes juifs, bornés et primaires, qui manquaient de finesse politique et qui l’ont combattu alors qu’il était leur véritable allié parce qu'il était un authentique nationaliste israélien. 
Les nationalistes palestiniens et juifs se réjouissent aujourd’hui de sa mort parce qu’ils ont compris que Sharon s’en est allé sans laisser un héritier de sa trempe digne de poursuivre la politique, alliant le pragmatisme et l'objectif de sécurité, qu’il n’a pas eu le temps de peaufiner car la mort s’est trouvée sur son chemin.

   

3 commentaires:

nanecy007 a dit…

Merci à toi Jacques, qui en quelques phrases, a si bien résumé la carrière politique et le rôle si important qu'a joué l'un de nos héros national.
Il nous a quittés hélas, et je doute qu'il ait laissé un "héritier" pour continuer son œuvre magistrale.
Où sont les prétendants de la Knesset à ce titre ? S'il y en a un, j'attends qu'il lève le doigt !
Ariel, que ta mémoire soit honorée jusqu'à la fin des temps, et surtout à la survie d'Israël, ce merveilleux pays que le monde entier nous envie !

邓大平 עמנואל דובשק Emmanuel Doubchak a dit…

Il faut avouer que Sharon a eu deux mérites , l'un des deux et il n'est pas des moindres, c'est d'avoir pacifié la réalité israélienne après le premier gouvernement Nétanyahou qui nous avait amenés au bord de la guerre civile. Le second à mes yeux est le fait que c'est son intervention après l'attentat de Pessah à Nétanya, qui contre toute attente a réussi à mettre fin à l'intifada à un coût humain suffisamment bas pour être cité dans les écoles militaires, alors que personne ne croyait qu'une armée régulière était capable de vaincre le terrorisme. Enfin, je pense que le départ de Gaza a été salutaire, même si la non négociation de celui-ci nous a valu la victoire du Hamas dans ce territoire.

AMMONRUSQ a dit…

Je suis d'accord avec les deux commentaires, vu de France il fut et je pense qu'il le restera un héro des temps modernes car en 1973 le pays était quand même en danger et c'est sa stratégie offensive qui fit pencher la balance.Je trouve l'article exact,merci.