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mardi 31 mai 2016

Les lacunes du système électoral israélien



LES LACUNES DU SYSTÈME ÉLECTORAL ISRAÉLIEN

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            
Avi Gabay ministre démissionnaire
          Les gesticulations politiques de ces dernières semaines et la mauvaise humeur de certains députés qui ont soit démissionné, soit quitté leur parti donnent peu de chance à la coalition actuelle de tenir jusqu’à l’échéance normale de 2019. Des élections anticipées se profilent à l’horizon avec une recomposition certaine du paysage politique. Plusieurs diagnostics peuvent être avancés sur les raisons de cette instabilité gouvernementale mais la plus importance est la persistance d’un système électoral qui fait la part belle aux petits partis, qui interdit l'initiative personnelle et qui bloque l’ascension de toute nouvelle figure politique. 



          Quelques systèmes ont été testés en Israël mais aucun n’a véritablement donné satisfaction. Ce qui était valable à la création de l’État pour 806.000 habitants n’est plus valable aujourd’hui avec plus de huit millions d’habitants. 

Le système électoral avant 1996

            De 1951 à 1992, la loi électorale a été la forme la plus pure de la règle proportionnelle. A l'époque il y avait la nécessité de donner une représentation à tous les Juifs qui avaient rejoint le nouvel État. Dans ce système, le pays constitue une seule circonscription. Le nombre de sièges obtenu par chaque parti était proportionnel au nombre de votes obtenus lors des élections générales. Il fallait au moins 1% des voix pour être élu député. Par cette règle, la Knesset intégrait une multitude de partis sans qu’aucun ne puisse à lui seul obtenir une majorité. Le parti arrivé en tête entrait donc dans un processus de négociations en vue de former une coalition. Il fallait alors trouver un équilibre entre les avantages connexes liés au pouvoir et ceux liés aux questions politiques. Mais le gouvernement ne pouvait poursuivre qu’une seule politique générant une insatisfaction des politiques, souvent à l'origine de la chute des gouvernements de coalition.
Leaders Yichouv

            Le système électoral israélien plonge ses racines dans la période du mandat britannique (1920-1948) lorsque les Juifs du Yishuv avaient réussi à créer un organe national représentatif de tous les courants politiques présents en Palestine. Il fallait effacer les disparités entre régions rurales et urbaines et instituer un facteur d’intégration face à la grande hétérogénéité ethnique et politique de la population. Mais ce système ne permet aucune relation entre l’électeur et l’élu car le citoyen vote pour des candidats qu’il ne connaît pas, désignés par les appareils des partis. 
Premier gouvernement israélien

          Contrairement à ce qui est dit, David Ben Gourion n’avait jamais été partisan du système proportionnel. S’exprimant en 1949 devant la première Knesset, il avait déclaré : «Je ne pense pas que la présence aux élections de 21 listes de partis concurrents, dans ce petit pays de six ou sept cent mille habitants, soit l’expression de la démocratie ou d’une maturité sociale. En tant que Juif, c’est un phénomène maladif qui me fait honte». Ben Gourion s’efforça pendant toute sa carrière d’abroger le système de la proportionnelle, en vain.
Ben Gourion 1949


Changement de loi électorale

            Vers la fin des années 1980, des tentatives de changement ont été enclenchées. Un mouvement populaire, le Comité public pour une Constitution, a été formé pour promouvoir des réformes politiques et électorales. Des recommandations spécifiques avaient été avancées sur les questions des droits individuels, sur une structure officielle pour équilibrer les pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement, et sur une nouvelle loi électorale. La Knesset, après d’importantes réflexions et de manœuvres politiques, avait réussi à changer la loi électorale uniquement parce qu’elle avait eu le soutien des dirigeants des deux principaux partis.
            Le principe de cette nouvelle loi électorale avait pour but de renforcer la position du premier ministre lors du processus de formation d’une coalition. Le premier ministre était élu directement au suffrage universel à deux tours. Les électeurs mettaient deux bulletins de vote dans les urnes. L’un pour le parti de leur choix et le second pour leur candidat au poste de premier ministre. Cependant cette procédure ne garantissait pas au premier ministre l'assurance d’une majorité à la Knesset. Au contraire, les électeurs avaient tendance à répartir les pouvoirs. Ainsi aux élections du 29 mai 1996, Benjamin Netanyahou fut élu face à Shimon Peres mais le Likoud n’obtint que 32 sièges à la Knesset, deux sièges de moins que le Parti travailliste, qui avait alors obtenu 34 sièges.

            Pour renforcer davantage le pouvoir du premier ministre et assurer la stabilité des gouvernements de coalition, la nouvelle loi avait réduit le pouvoir de la Knesset en ce qui concernait le vote de confiance. La majorité absolue de 61 membres devenait requise pour renverser le gouvernement et un facteur dissuasif avait été rajouté puisque la chute du gouvernement entraînait la dissolution de la Knesset.

Un système à objectif limité

            En fait les changements apportés au système électoral ont montré leurs limites. Les petits partis avaient dorénavant trois phases pour exercer des pressions, d’abord avant le premier tour de l’élection, ensuite avant le second tour, et enfin au cours des négociations pour la formation du gouvernement de coalition. Les petits partis, surtout les partis religieux, avaient la possibilité d’influer trois fois sur les élections en devenant incontournables, augmentant ainsi leur pouvoir de négociation. Ce système a montré sa faiblesse puisque les électeurs pouvaient voter pour un chef charismatique et ensuite voter pour leur parti préféré, et pas forcément dans le même sens. Cela conduisait encore à une fragmentation accrue à la Knesset dans la mesure où il incitait les électeurs à voter pour les petits partis. Les problèmes, liés à l'incapacité de trancher d’un gouvernement de coalition, persistaient. Pour pouvoir assurer la mise en oeuvre de sa sa propre politique et neutraliser les mécontentements, le parti arrivé en tête était condamné à multiplier les portefeuilles.
            Contrairement à son objectif, cette réforme diminua de façon importante la force électorale des grands partis. Les législateurs étaient arrivés à la conclusion que la réforme électorale n’avait pas donné les résultats escomptés. L’ancien système électoral fut rétabli aux élections de 2003 avec quelques modifications successives mineures. Le seuil de représentation évolua de 1% en 1948 à 1,5% en 1992 puis à 2%  en 2006 et enfin à 3,25% aux élections du 17 mars 2015. Cela n'empêcha pas la multiplication des partis.
résultats élections 2015

            L’instabilité chronique des gouvernements persista avec la certitude que le système électoral était responsable de l’instabilité et de l’impuissance des gouvernements. Il encouragea la corruption publique et privée et priva le premier ministre d’un levier pour une action efficace. Il encouragea l’immobilisme et permit à des petites factions, représentant une infime partie de l’électorat, de confisquer la souveraineté populaire par leurs manœuvres. 
          Aucune proposition de réforme du système n’a jamais abouti parce que les dirigeants politiques voyaient un aspect positif à un système qui garantissait une réelle représentativité du corps élu. La Knesset englobait des éléments diversifiés puisqu'elle comportait des communistes juifs et arabes, des socialistes de toute obédience, des centristes de droite ou de gauche, une droite et une extrême droite, des religieux sionistes ou antisionistes, des religieux modérés et fanatiques et enfin des orthodoxes ashkénazes et séfarades.
Premier gouvernement 2015

            Il était un fait que ce système électoral engendrait plus de division que de rassemblement avec, à la clef, des concessions insupportables offertes aux petites factions, exprimées sous forme de portefeuilles ministériels, de postes dans les directions générales des ministères et dans la fonction publique, de lois religieuses coercitives sans compter les transferts de fonds du budget de l’État vers des groupuscules aux objectifs obscurs. L’opinion publique était persuadée que le système électoral était à l’origine d’une certaine corruption au profit d’intérêts minoritaires.

Variété de solutions


            Les solutions de réformes sont nombreuses mais toutes ne peuvent pas être appliquées au cas précis d’Israël. Le système majoritaire, à un tour à l’anglaise ou à deux tours à la française, risque d’éliminer de la Knesset des pans entiers de la population à l’instar des orthodoxes ou des Arabes, qui seraient exclus du jeu parlementaire. Les pays d’Europe occidentale peuvent certes servir de modèles mais des corrections doivent être apportées pour adapter le système à Israël. Certains songent à augmenter le seuil de représentation à 5% des suffrages exprimés pour éviter l’entrée de groupes extrémistes et pour éliminer certains partis du jeu politique.
            Le découpage du pays en circonscriptions de vote est défavorable aux petits partis qui ne peuvent pas faire le plein de voix s’ils n’ont pas de base territoriale définie à l'instar des partis arabes bien implantés entre la Galilée et le Triangle ou des religieux installés à Jérusalem et à Bnei Brak.  Les sionistes religieux et les partis d’extrême-droite, ayant des sympathisants dans tout le pays, seraient vite laminés. Par ailleurs le découpage et la taille des circonscriptions risquent d'être l’objet de manipulations politiques de toute nature.
Bulletin de vote allemand, à gauche choix du député, à droite choix du parti

            Le système allemand serait le plus acceptable pour les petits partis car, sur la base d'un vote majoritaire, il instille une dose de proportionnelle grâce à un double vote. Il prévoit l'élection d'une première moitié d'élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans le cadre de circonscriptions, puis l'élection d'une seconde moitié au scrutin proportionnel plurinominal sur une liste électorale. Ce système a l’avantage de dégager une majorité claire capable de durer toute une législature et de permettre aux petits partis d'être représentés, sans pouvoir de nuisance; la composition de l'assemblée correspondrait alors, à quelques détails près, au vote du peuple.
            Mais la difficulté réside dans l’impossibilité de changer le système électoral. Les petits partis ne sont pas dupes car ils perdraient leur pouvoir, les religieux en particulier; alors ils imposent dans l’accord de coalition l’interdiction de modifier la loi électorale durant la législature. C'est une garantie de continuer à exister à la Knesset. Seul un accord des deux ou trois grands partis permettrait de neutraliser l’opposition des petits partis à tout changement. Pour l’instant, un tel accord est lointain et le pays continuera à vivre d’instabilité gouvernementale chronique qui pousse les électeurs à voter tous les deux ans.  

2 commentaires:

Jean Luc CHABBAT a dit…

Connaissez vous la problématique de l'œuf et de la poule ? Dans notre préoccupation la question est : qu'est-ce qui crée cette micronisation de la vie politique et par conséquent de la société Israélienne ? Est-ce la nature de la société qui maintient le système ou bien le système qui maintient la nature de la société ? Dans votre analyse on ressent encore cette recherche d'équilibre et par conséquent votre résignation à une fatalité du sacro saint "statu quo". Il est vrai que seule une véritable révolution culturelle pourrait nous sortir de ce cercle vicieux .

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Les tribus d'Israël se disputant au moins depuis Roboam et Jéroboam, il est douteux qu'un quelconque système électoral suffise à les concilier.

Très cordialement.