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mardi 19 juillet 2016

Turquie : des lendemains de répression



TURQUIE : DES LENDEMAINS DE RÉPRESSION

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps 

Les chefs du Coup d'Etat

A priori le coup d’État a mal été préparé et ses auteurs n’ont pas prévu au préalable des alliances internationales ou l’appui de hauts généraux qui pouvaient les crédibiliser. En restant dans l’ombre, les vrais meneurs n’ont pas pu obtenir le soutien d’au moins 50% de la population qui, sous une forme ou autre, avait voté contre Erdogan. La rue restait acquise au régime islamiste qui a pu compter sur la neutralité des civils refusant de pactiser avec les militaires. Le moment avait pourtant été bien choisi puisqu’Erdogan se trouvait loin de la capitale, en vacances sur la côte.



La sanction sera sévère avec l’arrestation d’officiers de haut rang impliqués ou non. L’armée subit à nouveau un sérieux coup qui continuera à la déstabiliser. Selon les images, les soldats putschistes n’étaient pas encadrés et ils ont rapidement déposé les armes dès qu’ils ont été encerclés par la police sur la célèbre place Taksim, au centre d’Istanbul. L’armée de l’air n’a pas pris part au coup d’État et son intervention à basse altitude contre le Parlement pour défendre Erdogan a été décisive. L’armée semble avoir perdu la main depuis le 12 septembre 1980, lorsque, avec à sa tête le général Kenan Evren, elle organisa un coup d’État pour instaurer un régime militaire. Il s’agissait du troisième coup d’État de l'armée turque, après ceux de 1960 et 1971. En 1980, l’armée s’était emparée directement du pouvoir après avoir démis de leurs fonctions les responsables gouvernementaux civils. Elle assura la direction du pays jusqu'en 1983, date où elle se retira de la vie publique en autorisant de nouvelles élections législatives.

La Turquie est l’un des alliés les plus importants des États-Unis et rien ne peut se faire sans eux et sans la CIA. L’échec de la tentative d’attentat tendrait à prouver que les mutins n’ont eu aucune aide occidentale d’importance, la seule qui aurait pu leur permettre de réussir. Pourtant le gouvernement turc est certain de la participation des États-Unis dans ce coup manqué. Il a réagi en fermant la base aérienne américaine d’Incirlik et en imposant une zone d'exclusion aérienne autour d’elle. Mais cette thèse est difficile à admettre tant le modus operandi du coup semble être le fait d’amateurs. Le commandant de la base aérienne d'Incirlik, le général Bekir Ercan Van, a été arrêté pour complicité. Cette base, dans le sud de la Turquie, est utilisée par des avions des Etats-Unis et d'autres pays de la coalition internationale pour mener des frappes contre Daesh en Syrie.
Plus la nuit avançait et moins les leaders du complot s’affichaient à visage découvert ; ce fut une erreur de stratégie car la population n’était pas prête à l’aventure avec des inconnus. Or les deux principaux généraux du coup étaient des militaires qui avaient un passé glorieux et qui pouvaient rassurer la population et ramener à eux les militaires hésitants. 
Le général Akın Öztürk, ancien commandant de la Force aérienne turque, a servi plus de 40 ans et était un pilote de combat décoré et membre du Conseil militaire suprême. Ancien attaché militaire en Israël de 1996 à 1998, il était l'un de ses héros turcs les plus décorés, de l'OTAN en particulier. Son compagnon, le général de division Metin İyidil, avait participé à de nombreux combats et était chargé de la formation des forces terrestres.
Profitant de l’occasion, le régime a accusé un Turc exilé aux États-Unis, Fethullah Gülen, imam influent, parce que l’on ne prête qu’aux riches. Mais les disciples de Gülen ont toujours annoncé qu'ils condamnaient toute intervention militaire dans la politique intérieure. Dans les premières heures du coup d’État, les observateurs croyaient qu’il était bien orchestré par plusieurs corps d’armée et pas seulement par un «colonel isolé». Mais il manquait une âme, un leader incontesté. Erdogan a usé des médias contrairement aux mutins. Ses partisans ont vite répondu à l'appel de leur chef de file sur les places publiques. À travers la ville et du sommet des mosquées, les muezzins ont appelé les gens à protester contre le coup d'État.

L’échec de la tentative aura cependant des répercussions importantes pour la Turquie qui dispose de la deuxième plus grande armée de l’alliance occidentale. Elle est une alliée des États-Unis dans la lutte contre Daesh et la purge que subira l’armée influera sur les opérations contre Daesh depuis la base américaine d’Incirlik. Par ailleurs la Turquie finance les opposants au président Bachar Al-Assad et a accueilli près de 2,7 millions de réfugiés syriens mais elle sera en état de faiblesse vis-à-vis des troupes syriennes. Les plus déçus ont été les Syriens qui, à l’annonce du coup d’État, ont manifesté leur joie dans les rues de Damas. Maintenant que l’État-major turc est décomposé, il faut s’attendre à des déboires sérieux avec les séparatistes kurdes qui vont profiter de la désorganisation au sein de l’armée pour intensifier leurs actions.
Les mutins avaient leurs raisons. Erdogan était critiqué pour avoir modifié la Constitution afin de la tailler à sa mesure en imposant ses méthodes autoritaires. Mais on lui reconnait cependant un certain résultat exprimé par un boom économique au cours de son mandat. C'est ce qui a motivé la population à lui faire confiance. Les relations tendues de son parti islamiste AKP avec l’armée ne sont pas nouvelles. Les militaires sont en effet à l’origine de la création d’un État laïc et selon la Constitution ils étaient les garants de cette laïcité.
Les soldats mutins sont cravachés

Ce coup d’État va rendre Erdogan plus prudent et moins dominateur mais les premières informations montrent que la répression sera terrible. Le bilan a été particulièrement lourd: 290 morts et 1440 blessés dans les forces loyalistes et chez les civils. Erdogan a promis que les putschistes «paieront le prix fort» après avoir abattu 104 putschistes et arrêté 2839 soldats. Les soldats qui ont participé au coup d’État ont été lynchés en public. Les autorités turques ont annoncé avoir renvoyé 2745 juges sans que l’on comprenne le lien avec le coup d'État avorté. Alparslan Altan, l'un des 17 juges de la Cour constitutionnelle, la juridiction suprême en Turquie, a été placé en détention. Les Occidentaux exigent la clémence de la part des autorités turques. Merkel a appelé Erdogan «à traiter les putschistes en respectant l'État de droit». 
Il est probable que la politique de la Turquie va virer vers le pire. Il y a déjà eu un bain de sang. La télévision a montré des images d'un hélicoptère de combat tirant sur des groupes de personnes; des explosions ont secoué le parlement du pays.
Istanbul

Le coup d’État a des origines justifiées au sein du pays. Les divisions politiques et sociales de la Turquie ont augmenté depuis 2013, lorsque le pays a été secoué par des manifestations anti-gouvernementales et un scandale de corruption qui ont coûté leurs postes à trois ministres. Alors que la guerre en Syrie a débordé vers la Turquie, une vague d'attentats terroristes au cours de l'année écoulée a renforcé le sentiment d'une crise. Ainsi des djihadistes de l'État islamique ont tué 45 personnes dans une attaque sur le principal aéroport international d'Istanbul le 28 Juin. 
La guerre de longue durée avec des militants kurdes a également été relancée alors que l’armée est secouée par des purges à l’occasion d’une série de procès très médiatisés d'officiers supérieurs sur des accusations de complot. Pourtant Erdogan avait compris qu’il fallait lâcher du lest s’il voulait s’attirer les faveurs d’une armée décomposée.  Pour cela il avait commencé à libérer les généraux emprisonnés et à reconstruire des liens avec l'armée. Il avait compris que la relance de la guerre avec les Kurdes imposait plus de sérénité au sein de la Grande muette.

La démocratie turque ne sortira pas indemne de cette tentative de coup. Certes Erdogan semble plus fort et plus déterminé à sévir et il pourrait en profiter pour modifier la Constitution dans le sens de ses intérêts. Si son régime sort consolidé, en revanche son armée laissera des plumes au moment où il a besoin d’elle pour contrer la révolte kurde et pour agir contre les troupes de Bachar al-Assad. Erdogan doit se préparer à des lendemains difficiles, sinon sanglants. L’armée exsangue ne sera plus en mesure de faire tomber son régime à court terme mais elle sera inefficace pour le protéger des menaces de l’extérieur. La Turquie est de plus en plus fragile.


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