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vendredi 15 juillet 2016

Liban 2006 : 33 Morts pour une résolution




LIBAN 2006 : 33 MORTS POUR UNE RESOLUTION

Par  Jacques BENILLOUCHE 
copyright © Temps et Contretemps       
                                                        
             
                En ces journées de commémoration de la guerre du Liban de 2006, un épisode douloureux, un fiasco dramatique plutôt, doit être rappelé pour éviter que d'autres dirigeants politiques n'abusent du sentiment patriotique des Israéliens.



            Le mercredi  8 juillet 2009, trois ans après, les familles des soldats israéliens tués durant la seconde guerre du Liban avaient été conviées à Jérusalem à une cérémonie au mont Herzl pour une journée de deuil empreinte d’une réelle émotion. 121 soldats et officiers sont tombés au champ d’honneur en 2006 mais la mort de 33 d’entre eux nous interpelle par le côté inutile de l'opération 



Tank Merkava

Il était difficile de ne pas retracer la vie écourtée des derniers héros, souvent des adolescents, tendant à rappeler la vulnérabilité de l’homme, surtout de l'Israélien que l’on croyait indestructible. Les familles endeuillées supportent avec philosophie leur malheur, par conviction souvent, par discipline nationaliste aussi, mais certaines d’entre elles gardent une épine sensible dans leur mémoire. Beaucoup de choses ont été dites sur la guerre du Liban en 2006, en partie ratée, pour ne pas que l’on ait à s’étendre sur le sujet. Les Katiouchas qui pleuvaient jusqu'au dernier jour, l’impréparation flagrante des réservistes et la vulnérabilité des tanks Merkava devant les missiles antichars du Hezbollah. 
Beit Jbeil Liban 2006

Israël a perdu 121 combattants durant cette guerre mais près d’un tiers sont morts dans les dernières minutes du conflit. Entre le vendredi 11 et le dimanche 13 août 2006, trente trois soldats sont tombés lors de l'ultime offensive de Tsahal contre le Hezbollah. L’Etat-major avait fourni les premiers décomptes tragiques après la pause traditionnelle du  Shabbat. Les chiffres étaient distillés avec parcimonie comme si les autorités militaires avaient du mal à digérer la véritable information. De quinze, le nombre de morts du week-end est passé à plus de vingt-quatre pour atteindre le seuil des trente-trois le lendemain. 
Avec le temps et après la froideur des comptes rendus, on découvre peu à peu que la cause du décès de ces derniers soldats était étrangère à toute stratégie militaire. Alors que la plupart des tués du Liban se comptait parmi les fantassins tombés pour la prise de Bint-Jbail ou les tankistes dont la machine de guerre avait été percée par des missiles, ces quelques dizaines faisaient partie d’une exception, une exception politique. 
En effet la mort des trente trois soldats du dernier week-end de la guerre soulève un  problème moral même s’il est difficile de parler de moralité dans le cadre d’une guerre. Les archives démontrent que les tactiques prévues étaient en fait étalées dans la presse et sur internet avant même que les opérations qui ont conduit au décès de ces soldats n’aient été lancées. Pendant que les commentateurs professionnels, apprentis chefs d’Etat-major, débattaient au grand jour de la tactique à suivre grâce aux données qui leur avaient été communiquées, le Hezbollah n’avait plus qu’à découvrir dans la presse les informations sur l’offensive terrestre qui se préparait avec des détails qui ont dû faire pâlir le chef israélien des opérations. On ne pouvait pas mieux faire si l’on voulait aboyer pour faire peur. 



          La suite ne pouvait être écrite que dans l’Histoire. Les miliciens de Nasrallah attendaient tranquillement Tsahal en embuscade pour faucher les soldats par dizaine. Pour une armée réputée pour ses attaques surprises durant la Guerre des Six Jours ou la traversée du canal de Suez en 1973, cela faisait désordre. Le commandement militaire n’avait pas hésité à héliporter des soldats dans la gueule du loup, vers une mort prévisible et certaine. 
            Une question a taraudé les commentateurs au moment où l’on honore ces gamins tombés au Champ d’Honneur : pourquoi a-t-on envoyé ces soldats là-bas et si tard ? L’histoire d’Israël est certes jalonnée d’offensives sanglantes et meurtrières imposées par la nécessité du moment : Latroun, Mitla, la Colline des Munitions, Beaufort, pour ne citer que les plus tragiques. La réponse a été fournie par le premier ministre Ehud Olmert lors de son témoignage devant la commission d'enquête Winograd. Cette offensive était indispensable pour des raisons de «politique étrangère» afin de «faire pression sur le Conseil de sécurité de l'ONU qui délibérait sur la résolution de cessez-le-feu ce même jour. Cette offensive nous a permis d'obtenir une résolution plus favorable à Israël». La chronologie est effectivement sans faille. L'ONU a émis le 11 août sa résolution, le gouvernement libanais l’a acceptée le 12 et Israël le 13 tandis que la seconde guerre du Liban prenait fin le 14 août.
Commission Winograd

Les trente trois soldats morts entre le 11 et le 12 août ont donc été sacrifiés pour l’obtention d’une résolution «favorable» à Israël. Quand on mesure l’acharnement pour libérer un seul d’entre eux, Guilad Shalit, on s’étonne de l’inanité de certaines décisions prises au plus haut niveau. Un gouvernement a pris l’initiative de lancer une offensive terrestre aux risques prévisibles et à grands renforts médiatiques, non pas pour conquérir une position stratégique ou pour éradiquer une unité ennemie, mais pour que «l'ONU émette une résolution favorable à Israël». Des jeunes ont été envoyés à une boucherie  pour le prix d’un parchemin. 
En cette période de commémoration des héros, il devient difficile d’expliquer à ces mères désespérées que l’énergie et l'abnégation pour élever leur enfant, que les nuits d’insomnie, que les efforts demandés et que les soucis maternels quotidiens n’ont pas été dilapidés pour la défense de la patrie mais pour un intérêt politique négligeable. Elles savaient pourtant qu’en remettant leurs enfants à Tsahal, elles avaient la conviction qu’on prendrait soin d’eux ou du moins, qu’on ferait tout pour garantir leur sécurité et bien sûr leur vie. Le code d’honneur a pris un bon coup ce fameux week-end où était signée la résolution 1701 qui ne comportait que des décisions mineures eu égard au sacrifice monnayé à un prix élevé : «Le retrait des troupes israéliennes du Liban et le déploiement de l'armée libanaise au sud du Litani ainsi que le désarmement du Hezbollah»
            33 morts. Des vies écourtées, des mères et des pères brisés, des veuves et des orphelins éplorés, des descendances stoppées pour une résolution qui, à l’instar de nombreuses autres décisions politiques, avait peu de chance d’être appliquée, du moins en totalité. Ces morts dont on a égrainés les noms sont certainement des sacrifiés, morts différemment que les autres, parce qu’une guerre non préparée avait été décidée en quelques heures par des politiques qui voulaient se glorifier d’une bonne résolution à l’ONU. Pour eux, la vie continue mais  à quel prix ! 
              Cela explique sans doute la prudence des autorités sécuritaires et militaires de se lancer dans une opération contre les usines nucléaires iraniennes en 2009 sans un minimum de garantie et sans l'appui logistique des Américains. Le premier ministre avait été choqué par l'indiscipline de ceux qui avaient exigé un ordre écrit pour ne pas être seuls responsables d'une éventuelle catastrophe. 

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