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vendredi 20 juillet 2012

SYRIE : LE RÉVEIL DU NATIONALISME KURDE


 
SYRIE : LE RÉVEIL DU NATIONALISME KURDE

Par Jacques BENILLOUCHE
          

Les kurdes sont un peuple d'origine indo-européenne réparti dans la région du Kurdistan, à cheval sur quatre pays : Turquie (12 millions), Iran (7 millions), Irak (6 millions) et Syrie (2 millions). En communauté de destin avec les arméniens et les juifs, ils ont toujours été persécutés et massacrés sans pouvoir créer leur propre foyer national. Ils se battent depuis des décennies pour obtenir un État indépendant ou au moins, une autonomie et des droits culturels dans la région où ils vivent.



Rupture israélo-turque

En juin 2010, ils avaient été pris dans un étau turco-syrien lorsque des troupes syriennes avaient été engagées dans des combats acharnés. Ils avaient alors subi la destruction de quatre villes du nord, entrainant la mort de plusieurs centaines d’entre eux. Ni Israël et ni l’occident n’avaient alors réagi. Les israéliens s’étaient résolus, à l'époque, à geler leur soutien politique actif aux kurdes au profit du développement de leurs relations exclusives avec la Turquie. A ce titre, ils avaient conseillé aux kurdes une certaine retenue dans leurs opérations.
Mais le coup de froid entre la Turquie et Israël et les opérations meurtrières de grande envergure lancées contre les kurdes les ont libérés de leur réserve. Israël avait même vu d’un bon œil la réactivation des actions contre la Turquie lorsque les relations avec Tayyip Erdogan avaient été rompues. 
Abdullah Öcalan, leader du PKK
Les israéliens n’avaient jamais cessé de soutenir matériellement les groupes d’opposants et d’armer les militants nationalistes qui ont d’ailleurs fait quelques infidélités à l’État juif. Les israéliens n’avaient pas apprécié qu’Abdullah Öcalan, leader du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), lassé d’être bridé par Israël, s’allie avec le Hezbollah et la Syrie dans sa stratégie de lutte contre son ennemi turc. Le Mossad avait d’ailleurs été accusé d’avoir participé à son enlèvement à Nairobi en 1998.

Alliance précoce

Combattants kurdes à la frontière turque

Les relations avec les kurdes datent de 1958. Dans le cadre d’une alliance avec le Shah d’Iran, Israël avait armé et entrainé les kurdes du nord de l’Irak pour les aider dans leur lutte contre le gouvernement de Bagdad. Le soutien, limité à l’origine, s’est transformé, en 1963, en aide matérielle massive acheminée par l’intermédiaire de l’Iran et en aide humaine par l’envoi de conseillers techniques et de médecins. Les officiers kurdes reçurent directement, dans les montagnes du Kurdistan, des cours de formation dispensés par des officiers de Tsahal.
Les kurdes ont marqué leur gratitude en 1967, durant la Guerre de Six-Jours. Devant la mobilisation générale des armées arabes contre Israël, ils ont fomenté des troubles dans leur région pour forcer les troupes irakiennes à se détourner des frontières israéliennes. En remerciement, l’État juif avait fourni aux kurdes le matériel russe récupéré sur les armées égyptienne et syrienne en déroute. Le leader kurde de l’époque,  Massoud Barzani, avait confirmé avoir reçu plusieurs millions de dollars de la part d’Israël pour financer sa révolte.
Mais le PKK, limité dans ses actions militaires et abandonné dans ses alliances, avait tenté un revirement. Massoud Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien, en visite à Ankara, avait estimé que : «nous sommes opposés à la poursuite de la violence. Nous ne considérons pas la sécurité de la Turquie séparément de la nôtre». Mais il devait vite déchanter car la Turquie n’avait aucune intention d’offrir une quelconque autonomie à ses kurdes.

Choix stratégique d’Israël

Abdullah Gül président turc visite une base à la frontière irakienne

Israël ne tenait pas à envenimer ses relations avec la Turquie, membre important de l’OTAN, qui entrait dans le système offensif israélien. Mais Tayyip Erdogan a vu, dans le réchauffement du front kurde, la main manifeste des israéliens dans une tentative de le déstabiliser. Il les a soupçonnés d’avoir suscité les attaques kurdes contre des bases militaires, contre des cibles navales et contre un autobus transportant du personnel militaire et leurs familles au cours de laquelle cinq morts ont été dénombrés. Le cycle attentats-représailles fut alors enclenché pendant plusieurs mois.
Cette réactivation du front kurde n’était pas pour déplaire à Israël car, pour résister à la nouvelle flambée de violence, l’armée turque avait exigé de son gouvernement de nouveaux armements qui lui faisaient défaut depuis la rupture avec Israël et en particulier les systèmes de missiles israéliens, les roquettes antichars «Spike», les missiles «Barak-8» pour la marine et les blindés «Namer» pour le transport de troupes. L’armement étant manquant, les drones en particulier, la capacité de nuisance des kurdes s’était accrue. Elle avait conforté Benjamin Netanyahou dans la justesse de sa stratégie consistant à adopter une attitude ferme face aux dirigeants turcs.

Activisme kurde

Combattants kurdes

Le premier ministre israélien avait constaté qu’avant la révolution syrienne, le Hezbollah avait déjà rejoint l’axe turco-syrien pour aider les syriens à bloquer les kurdes pourchassés jusqu’à la frontière libanaise. Le président syrien voulait empêcher les combattants kurdes d’y trouver refuge. De nombreux barrages avaient d’ailleurs été établis dans plusieurs villes libanaises pour traquer les kurdes et les massacrer.   
Mais ces exactions semblent oubliées aujourd’hui puisque l’intérêt actuel des kurdes les pousse à collaborer avec la révolution syrienne, en exploitant les relations mauvaises entre la Turquie et la Syrie depuis le début de la répression des mouvements de contestation. Ils ont profité de l’incident de fin juin, lorsque la défense antiaérienne syrienne avait abattu un avion de combat turc au large de ses côtes, pour reprendre leurs opérations contre la Turquie.
Estimant que le moment était venu de peser dans la situation de la région, les deux principales formations kurdes de Syrie, farouchement opposées au président Bassar el-Assad, ont décidé de se regrouper au sein d’une seule entité après des négociations tenues au Kurdistan irakien. Le Conseil national kurde, qui regroupe une douzaine de partis, et le Conseil populaire du Kurdistan occidental sont désormais unis sous la bannière du «Conseil suprême kurde» après des discussions auxquelles a participé le dirigeant du Kurdistan irakien, Massoud Barzani.
Les israéliens verraient avec intérêt la création d’un foyer national kurde autonome car l’entité nouvelle, certainement alliée de l'Etat juif, d’une part rognerait sur la taille de pays qui lui sont hostiles et d’autre part, constituerait un contrepoids efficace face à un Iran islamiste envahissant et prosélyte. La frontière du Kurdistan nouveau permettrait d’avoir un œil sur les activités occultes de l’Iran.

Alliance de circonstance

Pour contrer à la fois les kurdes et la Syrie, l'armée turque a renforcé son dispositif le long de la frontière syrienne avec l'envoi de batteries de missiles sol-air et de véhicules de transport de troupes à Mardin, au sud-est. Bassar Al-Assad, qui ne désarme pas, a réorganisé en quelques jours son État-Major, victime de pertes et de défections,  en donnant une place de choix à son frère cadet, le général Maher Assad, et à quelques généraux fidèles. L’armée syrienne semble à nouveau en ordre de bataille pour contrer les troupes rebelles.
Chefs militaires kurdes d'Irak
Par ailleurs, cherchant à exploiter les relations conflictuelles entre la Turquie et le PKK, le président syrien a décidé d’utiliser les troupes kurdes contre Erdogan. Il a autorisé les kurdes d’Irak à passer la frontière en masse pour se positionner à la frontière syrienne et a obtenu en contrepartie la neutralité des kurdes dans la révolution. Il les a même autorisés à opérer le long de la frontière turque. Pour Israël c’est tout bénéfice car il y voit un moyen implicite de bloquer toute pénétration du Hezbollah tenté de venir prêter main forte au régime d’Assad.
Le président syrien a fait preuve de génie politique puisqu’il a offert aux kurdes la possibilité de s’implanter au Kurdistan syrien. Il a ainsi évité à sa minorité kurde du nord de la Syrie de rejoindre les rebelles syriens et a récupéré ses troupes du nord pacifié, mobilisées contre les kurdes, pour les envoyer consolider le front sud, à Alep en particulier où se joue l'avenir du régime. Enfin il a créé un nouveau point de fixation contre la Turquie qui se trouve obligée de faire face à une nouvelle menace à sa frontière méridionale.
Selon des sources sécuritaires israéliennes, les troupes du nouveau «Conseil Suprême Kurde», qui ont uni leurs combattants et leur armement, ont déjà pris le contrôle de deux villes frontalières syro-turques : Afrin et Aïn Al-Arab. Ils envisagent ainsi de perpétrer de nombreux raids contre la Turquie pour obtenir, par les armes, l’autonomie du Kurdistan turc. Le peuple kurde semble revigoré après des années de répression, d'exclusion et d'isolement politique. Il envisage à présent d’exploiter la révolution syrienne à son profit. Il semble être le seul gagnant du chaos syrien.


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