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mercredi 21 novembre 2012

MENDES-FRANCE, SEGUIN, FILLON : LE GÂCHIS



MENDES-FRANCE, SEGUIN, FILLON : LE GÂCHIS
 
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright© Temps et Contretemps
 
François Fillon


            Les français n’aiment pas les personnalités brillantes et iconoclastes. Ces trois grands hommes se ressemblent parce qu'ils ont été parmi les meilleurs dirigeants politiques, certes intransigeants sur le service de l’État.  Trois destins comparables à trois périodes où la France avait le plus besoin de repères parce que la politique politicienne avait pris le pas sur la réflexion.


 
Pierre Mendès-France

Philippe Seguin et Pierre Mendes France ont peu gouverné mais leurs idées les ont transcendés parce qu’elles ont survécu à la mort de l’un et deviendront une référence après le décès de l’autre. Tous deux ont fait de la politique pour servir leur pays et non pour se servir. Ils n’ont pas couru après la carrière, ni après les honneurs des postes ministériels. Ils ont tout laissé tomber, en pleine gloire, lorsqu’ils ont constaté que la politique qui leur était proposée n’était plus en adéquation avec leurs convictions. Les hommes politiques sont avides de pouvoir mais eux, ont accepté de le quitter volontairement en démontrant ainsi la grandeur de leur personnage. François Fillon, l’élève de Philippe Seguin qui avait eu pour mentor Mendès-France, se met aujourd’hui en réserve de la République, renvoyé par ceux qui pendant cinq années l’avaient encensé. 
 

Le terroir en commun
 

            Ces trois hommes d’État ont eu en commun la passion du terroir, parfois lointain. Philippe Seguin était né en Tunisie tandis que Mendès-France avait offert à ce pays  la liberté sous forme d’indépendance au moment où les colonialistes s’acharnaient à se couvrir le visage pour ne pas voir la réalité nouvelle, concrétisée sur le terrain, qui se propageait dans les esprits.  Mendes-France avait été un élu de l’Eure qui l’avait adopté dès l'age de 25 ans pour lui enlever ses scories de parisien. Il n’a réellement gouverné que pendant sept mois et il s’en est allé, sur la pointe des pieds, quand il a découvert que la politique devenait synonyme de haine, d’intérêt, de bassesse et de mauvaise foi. Et pourtant il a laissé des traces indélébiles alors que d’autres, qui ont occupé des ministères pendant des années, n’ont jamais marqué la République et sont tombés dans l’oubli. Mais malgré cette durée limitée, il a semé ses idées que d’autres ont porté ensuite comme un étendard, avec fierté, sans jamais oublier d’en rappeler l’origine : Michel Rocard, premier ministre, Jacques Delors un grand de l’Europe, et d’autres noms aussi prestigieux qu’il serait vain et long de citer.

Philippe Seguin

            Philippe Seguin était, lui aussi, entier. Élu à la tête du RPR en 1997, il voulait déjà rénover le parti et proposer de nouveaux statuts. Mais il a été très vite confronté à de nombreux obstacles car, sur l’Europe, le parti commençait à se diviser. Il a préféré claquer la porte quand il a senti que les options choisies n’étaient plus en conformité avec ses idées. Comme son prédécesseur, il avait constitué un vivier de futurs hommes d’Etat qui se reconnaissent aujourd’hui dans sa lignée. Son poulain François Fillon est devenu premier ministre tandis que son élève Henri Guaino,  conseiller spécial, a inspiré la plume de Nicolas Sarkozy.
         D’autres encore n’hésiteront pas à se recommander de lui quand l’Histoire aura rendu ses lettres de noblesse à leur maitre. Sa culture n’avait d’égal que son humour encore plus percutant lorsque Jacques Delors s’avisa de se présenter à l’élection présidentielle : «En 1974, les français voulaient un jeune : ils ont eu Giscard. En 1995, ils voudront un vieux : ils auront Giscard. Mais avec Delors, les socialistes passent de Léon Blum à Léon XIII.» 

Gaullisme social

                 
            Ces trois hommes d’État voulaient être des rassembleurs parce que le peuple devait être uni dans les moments difficiles. Ils véhiculaient certes des idées foncièrement de gauche et chacun d’eux, dans son registre, avait été catalogué de «gaulliste social», un positionnement qui ne voulait s’apparenter ni à la gauche et ni à la droite.
             Mais les trois personnages ont été des hommes du «non». Mendes France a dit «non» au projet de constitution élaboré par Charles de Gaulle en 1958 car il était opposé aux conditions dans lesquelles le général avait décidé de prendre le pouvoir. Philippe Seguin n’avait pas hésité à braver son propre parti pour dire «non» à Maastricht afin de dénoncer «l'engrenage économique et politique» dans lequel, selon lui, le traité qui devait faire naître l'euro risquait d'entraîner l'Europe. François Fillon avait dit «non» à l’extrême-droite et voulait écarter son parti de ses dérives inavouées.  Après avoir été battus dans un combat déséquilibré, ils ont alors préféré quitter le pouvoir pour s’adonner à la réflexion politique, celle qui manque le plus aux hommes de gouvernement.

            La nature humaine et politique veut que les Grands hommes ne soient reconnus comme tels qu’après leur disparition. Mendes France n’a été consacré que longtemps après sa mort, discrète et presque gênante, alors que Mitterrand prenait le pouvoir sans aucun geste de reconnaissance envers celui qui l’avait fait. Seguin avait eu droit lui aussi à sa gloire posthume lorsque son absence a pesé dans les consciences. Tous deux demeureront une référence dans la classe politique française, et même internationale, comme symbole d’une conception exigeante de la politique. Une conception qui se fait rare de notre temps où la médiatisation à outrance transforme les hommes politiques en marionnettes et où l’avidité les pousse à tous les excès.

Mais François Fillon est encore de ce monde et l'UMP a décidé de s'en priver avec le risque de regretter plus tard de ne pas l'avoir écouté ou suivi. L’avenir, certes semé d’embûches, lui est ouvert mais il est à craindre qu’il subisse de la part de ses amis, de ceux qui ont peur de ses qualités et de ses vérités, une sorte de haine compulsive. Il tenait à  combattre la «ligne Buisson» qui consistait à adopter des positions proches du Front national pour récupérer un électorat passé à l'extrême-droite.
      Il aurait pu orienter l’UMP vers un véritable rassemblement de type gaullien où la droite et la gauche s’unissaient sous le drapeau tricolore pour faire avancer une France repliée sur ses échecs et sur ses exclusives. Il aurait pu ramener à lui les centristes déçus, les inconditionnels de la gauche, les socialistes perdus et même les extrémistes égarés dans un chemin de traverse. Mais à l’instar de ses prédécesseurs qui n’ont pas été défaits par le suffrage universel, il a été écarté du pouvoir par les militants de son parti et par ses amis politiques inquiets de sa trop forte personnalité. Les premiers de la classe sont toujours soumis à la vindicte des médiocres.

Il n’y a pas d’exemple similaire en Israël, excepté peut-être Ben Gourion,  où des hommes ayant quitté le pouvoir en pleine gloire ont continué à inspirer les pas de ceux qui les ont suivis. À la veille d’élections législatives, les hommes politiques israéliens devraient prendre exemple sur ces personnages politiques français qui ont fait, ou feront, l’Histoire parce qu’ils étaient brillants, intègres, entiers et intransigeants dans leur démarche politique. Ils constituent une importante figure morale pour une partie de la classe politique et incarnent le symbole d’une conception exigeante de la politique. Ils personnifient en fait ce qu’on appelle communément : le service de l’État.

 

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