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dimanche 4 août 2013

NASRALLAH CONSCIENT DE SON ISOLEMENT



NASRALLAH CONSCIENT DE SON ISOLEMENT


Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


         
          Pour dynamiser ses troupes, Nasrallah avait besoin d’un symbole fort après les déconvenues auxquelles il est soumis de la part de différents bords. Il a choisi d’apparaitre personnellement à un meeting à Beyrouth alors que, depuis septembre 2012, il se contentait de discours retransmis par vidéos. Il a effectivement pris des risques car il sait qu’il reste toujours la cible des israéliens et de leurs drones mais il a voulu montrer qu’il n’était pas un couard. 
          Il a donc quitté son bunker souterrain pour s’adresser à son public, protégé derrière un énorme pupitre de bois qui laissait à peine entrevoir son visage. Conscient de son isolement, il a choisi le contact direct avec ses amis islamistes pour prouver que son mouvement restait encore fort. 



Critiques internes


Enterrement militant Hezbollah

          Les critiques à son encontre viennent d’abord de son propre bord car certains militants contestent l’intérêt d’avoir engagé des troupes en Syrie. Le Hezbollah libanais a perdu plus d’une centaine de combattants en huit mois et certainement plus, si l’on considère que ces chiffres ont été volontairement minimisés car de nombreux enterrements ont été décidés de nuit, pour ne pas prêter le flanc à la critique. Certains responsables au sein du mouvement s’élèvent pour fustiger l’implication du Hezbollah en Syrie alors qu’ils auraient voulu combattre les soldats israéliens. Ils ne comprennent pas que le Hezbollah libanais préfère aller tuer des musulmans sunnites, des civils pour la plupart, pour venir en aide au dictateur syrien.

Critiques libanaises

          Mais c’est au Liban que les critiques deviennent de plus en plus acerbes. Les langues se délient et la peur change de camp. Bachar Al-Assad ne fait plus la loi au Liban et n’est plus en état d’envoyer ses sbires éliminer ceux qui s’opposent à lui. Les hommes politiques libanais se sentent donc en sécurité pour analyser objectivement la situation et pour faire des choix en toute liberté.
          Le Chef du Courant patriotique libre libanais (CPL), Michel Aoun, allié du Hezbollah a engagé des pourparlers avec l'ambassade saoudienne à Beyrouth. Il est prêt à arrêter son appui au Hezbollah libanais, en échange d'argent et de promesses politiques, comme la participation à un gouvernement sans le Hezbollah. Les évolutions en Syrie ne sont pas étrangères à ces voltefaces. En effet, la présence du Hezbollah en Syrie a provoqué de profondes oppositions parmi les adversaires politiques du Liban qui sont soutenus par l’Arabie saoudite.


Dissensions islamistes

Al-Zawahiri

Nasrallah a mal accepté qu'Ayman el-Zawahiri, son compagnon dans le terrorisme, lance contre lui une violente diatribe : «Le soulèvement djihadiste en Syrie a révélé le vrai visage de l'exécutant du projet iranien en Syrie, Hassan Nasrallah, et fait tomber le masque derrière lequel il s'est longtemps caché». Le chef d'Al-Qaeda a stigmatisé la notion de la Wilayat al-Fakih, qui signifie la primauté des religieux sur les politiques, qui est le pilier du régime iranien où le guide suprême garde la main haute sur les affaires publiques : «Nasrallah n'est qu'un exécutant du projet iranien consistant à imposer la Wilayat al-Fakih à la nation islamique par les massacres, l'oppression, la torture, les violations des droits et le soutien au plus corrompu, au plus oppresseur et au plus criminel des régimes». Il s'agissait d'un discours de l'hôpital qui se moque de la charité.
Nabih Berri
          Les liens se fracturent aussi entre Chiites. Depuis la fin de la guerre civile en 1990, la communauté chiite libanaise se partage politiquement entre Amal et Hezbollah. Mais malgré une alliance de façade, on se souvient que le chef d'Amal et du Parlement libanais et surtout grand allié du Hezbollah, Nabih Berri, s'était félicité selon WikiLeaks de l'offensive israélienne en 2006 contre le parti chiite, la qualifiant «d’excellent moyen de détruire ses aspirations militaires et de miner ses ambitions politiques». 
          Nasrallah sait qu’il a aussi perdu son influence auprès de certains chiites libanais qui ne soutiennent plus le Hezbollah. Dans la banlieue de Beyrouth, dans le quartier chiite de Chiyah, nombreux sont ceux qui ne cachent plus leur défiance vis-à-vis du Hezbollah parce son soutien au régime de Damas était insupportable ; ils envisagent donc de creuser dans une autre direction, plus laïque.
Discours vidéo du Saad Hariri

          La charge la plus virulente est venue de l’ancien premier ministre Saad Hariri, qui s’est adressé depuis son lieu d’exil : «Cette année, je me vois contraint de communiquer avec vous à distance, à cause des circonstances qui m’ont été imposées. Que Dieu maudisse ceux qui nous ont conduits à cette situation». Hariri n’a pas hésité à attaquer de front le Hezbollah qu’il accuse d’être responsable de la montée de la tension depuis plusieurs années et de s’être «arrogé des droits d’État en matière de décisions d’avenir».
        Selon lui, la logique de la stratégie de défense ne tient plus la route, d’autant que les armes du Hezbollah sont devenues, après la guerre de juillet 2006, «un outil pour exercer des pressions politiques sur les autres parties. Ces armes ont provoqué la naissance de nouveaux groupes armés qui prétendent qu’ils ont le droit de posséder à leur tour des armes. Ces armes ne pourront jamais constituer un dénominateur commun entre les Libanais».
         D’après Saad Hariri, l’armée libanaise devrait être la seule institution à défendre la souveraineté, les frontières et l’indépendance du Liban : «Donnons à l’armée et aux forces de sécurité le droit de défendre le Liban et de préserver l’unité nationale et éloignons-la des conflits interconfessionnels. Au lieu d’appeler les Libanais à combattre en Syrie, nous devons plutôt leur demander de se réconcilier au Liban». Il a rejeté la possibilité d’un gouvernement d’union nationale avec le Hezbollah car «nous ne pourrons plus accepter la formule armée-peuple-résistance, de même que nous refusons d’accorder une couverture à ceux qui ont fait couler le sang en Syrie».

Poursuivant sur la lancée du chef du courant du Futur Saad Hariri, le président des Forces libanaises (FL) Samir Geagea a dénoncé le 4 août la politique et les positions du Hezbollah, estimant que ce dernier fait fi de la sécurité, la souveraineté et la stabilité du Liban. «Ceux qui veulent la stabilité du pays n'envoient pas chaque jour des drones vers Israël et ne s'engagent pas dans une guerre destructrice avec l'ennemi.  Chaque personne est libre d'avoir ses priorités, pourquoi Hassan Nasrallah veut-il imposer ses propres priorités ?»

L’État et l’armée libanaise



Michel Sleimane assiste au défilé de son armée

          Le président libanais Michel Sleiman a abondé dans le même sens que l’ancien premier ministre, à l’occasion de la fête de l’armée, alors qu’il faisait preuve jusque-là d’une certaine réserve et d’une certaine soumission au Hezbollah. Il a soulevé deux points fondamentaux,  l’urgence d’une stratégie de défense à cause de l’implication du Hezbollah en Syrie, et la formation d’un gouvernement neutre : «Il est temps que l’État et l’armée soient les décideurs de l’utilisation de nos capacités de défense». Il semble s’être libéré de la tutelle syrienne car il n’est pas allé par quatre chemins pour souligner l’impact négatif sur le Liban et sur la mission de l’armée de l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie.
          Le président de la République libanaise s’était déjà montré excédé par les dérives des miliciens du Hezbollah qui font concurrence à ses forces armées et qui suscitent des représailles sur le pays de la part de la Syrie. Mais il a eu le courage, cette fois, d’exprimer ses griefs, avec beaucoup de vigueur, sachant pourtant qu’il n’est pas à l’abri d’un quelconque attentat comme le démontre le tir de roquettes sur le palais présidentiel et sur le quartier général de l’armée.

Mobiliser les militants

          Face à toutes ces attaques venant de différents horizons, Hassan Nasrallah s'est trouvé contraint de prendre la parole pour mobiliser ses troupes et pour ancrer l’existence de son mouvement dans le paysage libanais. Mais ses dérapages volontaires à l’encontre d’Israël apparaissent aujourd’hui comme une preuve de faiblesse, sinon d’isolement politique. Sachant que seul ce sujet était payant, il a centré son discours sur «la Palestine qui doit être rendue dans sa totalité à son peuple. Nous, les chiites de Ali ben Abi Taleb, affirmons que nous n’abandonnerons jamais la Palestine». Il sait que ce thème fait consensus auprès des pays arabes et qu'il peut lui valoir quelques sympathies. Cependant, il semble cependant moins mobilisateur que par le passé.
          Mais à l’instar de ses mentors et alliés iraniens, il persiste à vouloir rayer Israël de la carte de la région avec une outrance dans ses fanfaronnades, tout en se parant du costume de défenseur des palestiniens. Les deux leaders palestiniens à Ramallah et à Gaza n’ont pas cru devoir réagir face à un étranger qui se mêle de leurs affaires. Ils sont pourtant bien placés pour savoir qu’on ne peut pas rayer facilement l’État juif de la carte et que Nasrallah use de surenchères démesurées à son seul profit. 
Beyrouth la nuit

          Mais Nasrallah n'a pas assimilé le rêve libanais. Les Libanais ont trop vécu la guerre pour l'aimer. Ils sont faits de la même trempe que les Israéliens car ils aiment la vie, le progrès, la civilisation et le modernisme dont les barbus islamistes veulent priver. Ils savent surtout qu’ils risquent de payer cher toute tentative d’impliquer Israël dans un conflit parce que le Liban sortira détruit tandis que le leader du Hezbollah restera en toute lâcheté et en toute sécurité dans son bunker. 
          Les Libanais savent aussi mesurer la force de Tsahal à laquelle ni le Hezbollah et ni l’armée régulière libanaise ne pourraient se confronter. Saad Hariri l’a compris dans une sorte de mea culpa tardif alors qu’il aurait pu, lorsqu’il était en fonctions, avoir le courage, celui d’Anouar Al-Sadate ou de Bachir Gémayel, pour signer enfin une paix avec Israël avec qui il n’a aucun contentieux. 
 
Bachir Gemayel
          Au Liban les cartes ont changé et le nationalisme de la population, excédée par tant d’aventurisme, a définitivement rejeté le Hezbollah qui cherche à présent, par tous les moyens, à sortir de son isolement. Le discours de Nasrallah ne semble plus avoir les vertus mobilisatrices de l'époque glorieuse où il imposait sa politique et ses diktats. John Kerry a peut-être perçu cette évolution qui l'a poussé à envisager sérieusement le dialogue entre Israéliens et Palestiniens.   

2 commentaires:

Michel LEVY a dit…

J'avais demandé à un libannais chrétien pourquoi il ne faisait pas la paix avec Israël; il m'a demandé : "Et les palestiniens, qu'est-ce que j'en fait ?"; je lui ai répondu, "vous les intégrez à la nation !" il m'a répondu : "Je vous en prie, gardez vos ordures chez vous ! "

AMMONRUSQ a dit…

Merci pour cette analyse !