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jeudi 21 avril 2016

Ronit Elkabetz, la passionaria séfarade



RONIT ELKABETZ, LA PASSIONARIA SÉFARADE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            
à Cannes en 2015

           Ronit Elkabetz était née le 27 novembre 1964 à Beer-Shev’a. Elle ne pouvait pas naître ailleurs que dans une zone de développement.  Bien sûr, ce fut une immense actrice, bien sûr elle crevait l’écran de son visage torturé et mélancolique. On comprend mieux aujourd’hui puisque la maladie rongeait son corps depuis plusieurs mois sans qu’elle n’ait émis  une quelconque plainte.


Cliquer sur la suite pour voir et entendre la dernière intervention publique d'Elkabetz




            Mais ce qu’il faut retenir d’elle c’est son combat pour le sort des séfarades en Israël. On peut toujours dire qu’il s’agit d’un combat périmé d’arrière-garde, d’un combat de revanchards, du combat de ceux qui s’acharnent à mettre ce sujet à la pointe de l’actualité alors qu’il semble dépassé. C’est un sujet qui s’est certes estompé en France au fil du mixage des populations juives, mais il dure et perdure en Israël. N’ayons pas peur des mots, la discrimination existe et a existé dans certains milieux artistiques qui voulaient en fait se protéger de cette arrivée massive de séfarades à la recherche des bons  postes, voire des sinécures.  
            Elle avait eu tort de représenter une communauté marocaine pas suffisamment évoluée, la pire aux yeux de certains pour pouvoir prétendre figurer au sommet des affiches, en gros caractères. Au temps de ses débuts, la discrimination était là partout, vivace parce que les Juifs orientaux étaient assimilés à des Arabes juifs  sans que l’on puisse expliquer le mystère de cette entité antinomique. Il était difficile d’expliquer que certaines populations séfarades parlaient l’arabe et non le yiddish, préféraient les chansons orientales aux musiques klezmer.
Manifestation des Panthers à Jérusalem

            Elkabetz s’est pour ainsi dire identifiée, par son œuvre,  aux intellectuels et militants orientaux de la deuxième génération, celle née en Israël après l’immigration massive de Juifs du Maghreb et du Moyen-Orient dans les années 1950/1960. Boudée par les milieux intellectuels en raison de ses origines, elle a été contrainte à une critique radicale de la société israélienne façonnée par les ashkénazes. Son origine marocaine l’a poussée à s’élever  contre l’hégémonie culturelle ashkénaze et à voir d’un œil indulgent les mouvements de protestation et de résistance orientaux qui émergeaient en Israël. C’était le temps des Panthères noires d’Israël, ces jeunes maghrébins juifs issus des quartiers défavorisées et des cités populaires de Jérusalem. Ces groupes, qui avaient des revendications légitimes, ont été récupérés pour leur malheur par les partis d’extrême gauche et communiste, pour être finalement écartés de la société israélienne.

            La suite fut pire pour les Juifs orientaux qui passèrent en 1980, d’un carcan à un autre, de l’idéologie communiste à l’idéologie aussi contraignante orthodoxe avec ses leaders d’un autre âge, anachroniques au point de singer leurs maîtres ashkénazes. La «sionisation» des Arabes juifs fut un désastre social et culturel. En niant l’Orient arabe puis les Palestiniens, le sionisme a fini par nier les Juifs orientaux dont la voix a été systématiquement étouffée.
            Elle était devenue une comédienne qui vivotait en Israël malgré son talent. La France et sa culture universelle l’ont sauvée. Rejetée en Israël, elle a trouvé sa place en France et surtout le succès. Elle a choisi de tout quitter pour un lieu où elle était inconnue et dont elle ne connaissait ni la langue et ni les coutumes qui avaient été celles de son père au Maroc : «Le plus beau cadeau que je me suis offert, c’est cette seconde naissance. J’aurais très bien pu continuer d’enchaîner les projets en Israël, mais j’avais besoin d’ouvrir une nouvelle porte : pour la trouver, le seul moyen était de rompre avec mes repères et de recommencer ailleurs, à zéro».
            C’est ainsi qu’en 1997 elle frappe à la porte d’Ariane Mnouchkine pour un stage mais se retrouve surtout à faire la vaisselle, faute d’emploi possible. «Pendant que je briquais, mon téléphone sonnait. On me proposait de faire Lady Macbeth ou Cléopâtre en Israël. C’était très irréel ce double emploi : une vie de femme de ménage que j’avais choisie, tandis qu’en Israël, on continuait de me parler comme à une star. (...) Sans la connaître, j’étais amoureuse de cette culture, et je savais que pour progresser, il fallait que je la rencontre de près. (...) De toute manière, aussi bien en tant qu’actrice que comme cinéaste, je n’ai pas suivi de formation».

            Mais ce séjour en France lui donna une plus grande crédibilité puisqu’il lui ouvrit les horizons internationaux loin de l’audience étriquée du pays juif.  Israël la redécouvre alors et lui donne les grands rôles qu’elle méritait. Les prix d’interprétation lui sont attribués d’année en année, à Cannes en 2004. Ses origines lui collent à la peau et lui inspireront plusieurs films où elle abordera l’histoire des couples, les problèmes de famille et les incongruités de la religion appliquée à la femme.  Elle ne s’en cachait pas : «Je suis en permanence à la recherche de mes racines. Je suis née de parents immigrés du Maroc. Mes fondements et ma culture sont pluriels, mais mon histoire, c'est Israël». 
          Elle avait fini par se réconcilier avec le pays qui l’avait ignorée pendant longtemps. Une perte pour le cinéma israélien, une perte pour les séfarades, une perte immense pour Israël.

5 commentaires:

Bernard Meyer a dit…

Un bel hommage vous avez très bien fait, il aurait été dommage de passer à côté
Bernard Meyer

Unknown a dit…

Bonjour,
Bel hommage à une grande actrice. Utile rappel des problèmes d'intégration d'intégration des séfarades.
Cependant si sa carrière vivotait pourquoi lui proposait on des rôles prestigieux (Cléopatre, Lady mac Beth).
"on continuait de me parler comme à une star" dit elle.
Le départ pour la France n'avait il pas d'autres motifs que celui que vous avancez?

un amoureux inconditionnel a dit…

Au revoir Ronit
Tu as été belle, grande, douée et courageuse: l' Estrella du cinéma israélien.
Et la fierté de tous les israélo-marocains.
Devant l'inéluctable, les mots sont impuissant et faibles parce que nous savons que cet inéluctable est inévitable
Tu es partie trop jeune, tu avais encore beaucoup à faire... mais nous garderons de toi l'image étincelante de la star mais surtout celle de la femme accomplie par sa propre volonté et en cela tu es et restera une SABRA
Nous te regrettons
Shalom

Jacques BENILLOUCHE a dit…

@ Lafite

Je pense que Ronit Elkabetz a utilisé une boutade pour faire comprendre qu’on a pensé à elle que dès qu’elle était partie alors que le téléphone ne sonnait pas quand elle était sur place. Son départ était justifié parce qu’elle avait jugé que son talent n’était pas suffisamment exploité. L’appel du large. A mon avis il n’y avait pas d’autre raison. Elle a d’ailleurs prouvé qu’elle avait du talent qui a été reconnu à l’étranger. Et puis la France a toujours été le pays pour les comédiens et la culture.

andre a dit…

Ronit, séfarade née à Beer Sheva était avant tout une israélienne avec un mélange de culture israélienne, marocaine et française .
Elle était plus que belle, elle était fascinante.
On pleure la femme disparue trop jeune. On peut se lamenter sur cet immense talent qui aurait pu se déployer davantage. Un destin cruel , une tragédie de tragédienne.