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mardi 5 juillet 2016

L'Histoire troublée des relations Turquie-Israël : 4/4 Réconciliation



L’HISTOIRE TROUBLÉE DES RELATIONS TURQUIE-ISRAËL

4/4 – Réconciliation

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps




          Les deux capitales, Ankara et Jérusalem, acceptaient l’idée que le partenariat turco-israélien restait très fragile et qu’il s’était vidé de sa substance sur le plan politique. La Turquie avait définitivement rayé de la liste de ses adversaires la Syrie et l’Irak, les considérant dorénavant comme des partenaires. Elle avait aussi envisagé de renouer avec l’Iran des relations durables en rappelant que sa frontière était stable depuis longtemps.  La Turquie, la Syrie et l'Irak trouvaient donc un intérêt à augmenter les relations commerciales, en particulier sur le plan énergétique.




La Turquie se voyait devenir le maillon essentiel dans la distribution de gaz et de pétrole pour toute l’Europe grâce aux conduites Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE), «Blue Stream» et «Nabucco». L’Iran souhaitait de son côté éviter l’utilisation des terminaux de Kharg et Bandar Abbas devenus trop vulnérables. La Turquie et l’Iran souhaitaient relier leurs réseaux, avec la participation de la Syrie et l’Irak. Cette attitude justifiait ainsi l’opposition de la Turquie à toute frappe contre les usines nucléaires iraniennes.
La mise à l’écart d’Israël était la conséquence du dialogue direct entre la Turquie avec l’UE et les États-Unis sans l’aide des réseaux israéliens. Israël de son côté s’était affranchi de l’aide politique turque et avait conclu directement avec l’OTAN un plan de coopération individualisé lui offrant une position d’État partenaire privilégié au sein du Dialogue méditerranéen et lui donnant accès aux travaux en matière de recherche technologique et de lutte contre le terrorisme.
Les échanges économiques furent à l’image des relations politiques qui s’étiolaient, en nette diminution pour atteindre à peine 3 milliards de dollars en 2009.  Israël était passé au quatrième rang des partenaires turcs au Moyen-Orient, derrière l’Iran (11 milliards$), l’Irak (5 milliards$) et la Syrie (4 milliards$) alors qu’il occupait la première place en 2003.
Malgré toutes ces déconvenues, les deux pays avaient évité le pire d’une rupture totale des relations. L’idylle était certes terminée mais les intérêts communs subsistaient. Israël gardait à l’esprit l’idée d’utiliser la Turquie comme médiatrice vis-à-vis de la Syrie ou du Hamas.  En effet, Erdogan avait réussi à doubler l’Égypte à Gaza et avait accru son influence dans les pays arabes en usant de ses bonnes relations avec les Frères musulmans. En fait, secrètement, Israël préférait que le leadership du monde musulman soit attribué à la Turquie plutôt qu’à un pays arabe féodal dès lors qu’Erdogan avait bien manœuvré en n’opérant aucune rupture avec l’Occident.

Les Israéliens voulaient absolument éviter la constitution d’un front entre la Turquie, l’Iran et la Syrie car ils misaient sur la chute du régime islamiste turc au profit des laïcs et des kémalistes. Mais ils estimaient cependant qu’ils n’avaient pas intérêt à mettre la Turquie en difficulté pour éviter de faire la part belle aux extrémistes. C’est pourquoi ils ont toujours maintenu une coopération militaire industrielle, réduite certes, malgré les tensions politiques. Ils savaient que l’armée turque était équipée de matériel américano-israélien et que ses chefs misaient toujours sur l’aide des industries israéliennes. Les Turcs avaient d'ailleurs souhaité qu’Israël se charge de la modernisation des chasseurs F-16 et des chars M-60. Mais cette coopération fut très timide car les généraux israéliens s’opposaient à la livraison de matériels sensibles à la Turquie à savoir, les satellites de reconnaissance, les missiles de croisière et les missiles antimissiles du type «Dôme de fer» de crainte qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains. En fait, l’armée turque avait trouvé des solutions de rechange sauf pour les drones car seule la société israélienne Aeronautics était en charge des drones achetés par les Turcs. Or les drones étaient l’armement le plus efficace contre les Kurdes.
Drone Eithan

          La rupture définitive n’a jamais été d’actualité mais le charme était rompu. Les négociations se poursuivaient dans le secret des ministères mais seul un partenariat à minima était envisagé. Ce fut la décision du Cabinet israélien de sécurité d’approuver l’accord de réconciliation avec Ankara par sept voix contre trois voix des ministres de droite : Avigdor Lieberman (défense), Naftali Bennett (éducation) et Ayelet Shaked (justice) au terme de quatre heures de discussions approfondies. Ils s’étaient opposés au paiement de dédommagements aux familles des militants turcs tués sur le Mavi Marmara. Ils exigeaient par ailleurs la restitution des corps de deux soldats israéliens tués à Gaza en 2014 mais aussi la libération de deux Israéliens présumés vivants et détenus par le Hamas.
Netanyahou et Binali Yildirim

Le premier ministre turc Binali Yildirim et Benjamin Netanyahu ont conjointement annoncé les détails de l’accord avec en toile de fond l'échange d'ambassadeurs pour normaliser les relations diplomatiques. L’accord prévoit l’annulation des poursuites turques contre les responsables militaires israéliens, la création d’un fonds doté de 20 millions de dollars destiné à dédommager les familles des victimes, l'expulsion de Turquie de Saleh Al-Arouri, activiste du Hamas qui aurait dirigé l’enlèvement et le meurtre de trois adolescents israéliens en Cisjordanie, en juin 2014. Enfin, les deux pays envisagent une vaste coopération dans le domaine gazier, avec notamment la construction d’un pipeline israélien passant par la Turquie, destiné à acheminer le produit des gisements gaziers israéliens de Léviathan vers l’Europe.
          Israël accepte que les Turcs acheminent, via le port israélien d’Ashdod, «plus de 10.000 tonnes d’assistance humanitaire» pour la construction avec des fonds turcs d’une centrale électrique, d’une usine de dessalement et d’un hôpital à Gaza. La Turquie s’est aussi engagée à empêcher le Hamas de mener des activités contre Israël depuis son territoire. La Turquie a dû se résoudre à cet accord en raison de son isolement sur la scène internationale.
          Les diplomates israéliens sont satisfaits du contenu de l’accord, bien sûr pour des raisons financières puisque les restrictions commerciales sont levées et que le commerce des armes va reprendre. Par ailleurs la Turquie s’est engagée à suspendre tout veto sur la participation israélienne aux activités de l’OTAN. Erdogan s’est trouvé contraint de revoir ses exigences à la baisse car le tourisme israélien en Turquie était pratiquement gelé depuis que d’autres pays comme la Grèce et la Roumanie avaient pris le relais. L’échec des Frères musulmans en Égypte a réduit l’influence turque au Moyen-Orient. Mais l’élément déterminant de la décision d’Erdogan se trouve dans le conflit syrien.
          Erdogan a mesuré l’échec de sa politique consistant à soutenir la chute du régime de Bachar Al-Assad, en vain, et il se retrouve avec 2,7 millions de réfugiés syriens dans son pays avec comme conséquence l’introduction de la Russie dans le conflit. Daesh et les Kurdes ne cessent d’organiser des attentats à l’intérieur de la Turquie entraînant une baisse de l’influence de la Turquie au nord du pays et un retour en force des Kurdes syriens qui se sont alliés avec le PKK, les Kurdes de Turquie en insurrection permanente. Erdogan compte sur Israël pour calmer les ardeurs des Kurdes irakiens qu’il soutient, arme et finance afin de limiter leurs interventions en Syrie et en Turquie auprès des autres clans kurdes. Le président Erdogan souhaite que la frontière syrienne redevienne calme et que les Kurdes ne harcèlent plus les troupes turques. 
Femmes kurdes au combat

          Le manque de matériel de haute technologie, longtemps fourni par les Israéliens, a affaibli l’armée turque qui a par ailleurs été décapitée par Erdogan. La plupart des généraux et des officiers croupissent dans les prisons du régime islamiste. Les Turcs ont besoin d’Israël pour apporter un soutien déterminant à une armée décomposée par les différentes purges et qui manque sérieusement de matériel de combat et de troupes efficaces. Le pays est sur la voie d’un chaos généralisé et d’une guerre civile après les attentats qui le secouent. Erdogan s’est dédouané en mettant le fiasco de la politique étrangère turque sur le dos de l’ancien premier ministre Davotoglou, inspirateur de la politique anti israélienne en le rendant responsable de l’effondrement de la sécurité intérieure du pays.
          Enfin, Erdogan ne voulait pas rater l’occasion d’une recomposition du paysage politique au Moyen-Orient suite au réajustement général de la politique israélienne. Il voudrait prendre part au réchauffement des relations d'Israël avec la Russie, l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Inde et les États du Golfe. Il ne voulait pas laisser Israël seul à récolter les fruits d’une «paix des braves». Il a donc été contraint de composer avec son adversaire d’hier, même si nombreux sont ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une réconciliation de façade. En effet cette suspicion est liée à la personnalité autocrate du président Erdogan et à la nature même de son régime islamiste, décrédibilisé par ses changements brusques d’alliance et suspect d’attitude anti israélienne. Les couples qui divorcent parviennent en effet difficilement à retrouver l’idylle qui les ont animés dans les beaux jours. 
          Israël va pouvoir concentrer son attention sur la frontière nord avec la présence du Hezbollah et de l’Iran et compte à présent sur la Turquie pour apaiser la tension à Gaza. Le Hamas semble avoir les mains liées et il a marqué officiellement sa réprobation contre cet accord. Mais il n’a plus le choix tant que ses relations sont rompues avec l’Égypte. Il lui reste à se tourner vers l'Iran pour envisager une aide financière et militaire. Pour Israël, c’est une excellente occasion de convaincre Mahmoud Abbas de ne pas trop jouer les trouble-fêtes.

1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…

Entre Ankara et Jérusalem c'était donc "fragile". Syrie, Irak et même Iran sont amis des Turcs maintenant. Et voilà tout ce petit monde tirant des plan sur la comète - pardon - tirant des pipe-lines, en veux-tu, en voilà ! Israël est donc mis au piquet, mais le pire n'étant pas advenu, il gardait l'espoir que l'ancien ami pourrait toujours lui servir un jour, contre les ennemis anciens. Sans les ombrageux généraux qui ne voulaient rien savoir, le business des armes aurait bien repris. Mais pas question de fournir aux Turcs ces drones dont ils ont tant besoin. Faut quand même pas pousser !

Les choses continuèrent donc, cahin-caha, jusqu'au "rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays". C'est chouette, non ? Et pour fêter ça on construit un pipe-line de plus. Tout le monde est content, sauf qu'entre temps, à cause de l'entrée inopinée de la Russie dans le conflit, Daesh et les Kurdes se mettent à multiplier les attentats meurtriers en Turquie. Et elle, qui déjà manque de matériel de haute technologie, voilà que ses généraux et officiers "croupissent dans les prisons du régime islamiste."
C'est le chaos généralisé. Et Israël, là-dedans ? Eh bien, il décide de faire ami-ami avec les Russes, mais aussi avec l'Arabie saoudite, l'Egypte, l'Inde et les Etats du Golfe, excusez du peu. Du coup, il peut maintenant s'occuper de sa frontière nord et même compter sur la Turquie pour calmer le Hezbollah. Le Hamas n'est pas content mais tout le monde s'en fout, et Israël va s'arranger pour que Mahmoud Abbas se tienne à carreau, car il faudra bien que la "réconciliation" se fasse sur le dos de quelqu'un.