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mercredi 2 novembre 2016

Le Liban choisit un président aux alliances sulfureuses



LE LIBAN CHOISIT UN PRÉSIDENT AUX ALLIANCES SULFUREUSES
Par Jacques BENILLOUCHE

copyright © Temps et Contretemps


Le leader chrétien libanais Michel Aoun a été élu ce 31 octobre, treizième président de la République libanaise. Le poste était vacant depuis deux ans. Par opportunisme parce qu’il tenait à ce poste prestigieux honorifique, il s’était allié avec le Hezbollah. Il n’était pas le seul chrétien à s’être compromis puisque le Patriarche Béchara Raï, avait été reçu en septembre 2011 à Baalbek, zone contrôlée par le Hezbollah, par des miliciens qui arboraient les portraits de Bassar Al-Assad et de Nasrallah.



Rai et les leaders chrétiens dont Aoun

La communauté maronite avait peu apprécié les accointances de leur patriarche avec des éléments douteux au moment où la région subissait le feu des troupes syriennes. Elle s’était désolidarisée de son chef. Le Vatican, qui n’avait pas apprécié lui-aussi les déclarations du patriarche favorables au régime syrien et à ses alliés du Hezbollah, l’avait d’ailleurs sanctionné par le report de sa nomination au rang de Cardinal.
Rares étaient les Chrétiens qui avaient osé affronter Bassar Al-Assad. Le seul qui avait la stature et la crédibilité pour le faire, le général Michel Aoun, était passé avec armes et bagages dans le camp syrien, faisant de lui le Pétain libanais. Le Hezbollah s’est substitué à la Syrie pour s’inviter à l’élection présidentielle libanaise en cherchant à imposer ses vues. Le Liban, en perdant son autonomie, est devenu un satellite de l’Iran, par milice islamique interposée, qui contrôlait l’élection présidentielle.

La vie politique libanaise s’articule autour de deux grands mouvements incluant chacun une dizaine de mini-partis. L’Alliance du 14-Mars est une coalition politique regroupant les personnalités et mouvements politiques qui ont pris part à la Révolution du Cèdre suite à l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ancien premier ministre Rafic Hariri. Ces forces, qui incluent en particulier la majorité des partis chrétiens, constituent l’opposition à l’hégémonie syrienne sur le Liban.
L’Alliance du 8 Mars s'oppose à celle du 14 mars. D’obédience communautaire, elle comprend les partis chiites, dont le Hezbollah, le parti chrétien du général Aoun, les partis sunnites, les partis islamiques, le parti alaouite et, étonnement, le parti druze de Walid Joumblatt qui a toujours combattu ses nouveaux alliés. Aoun était véritablement un intrus parmi tous ces musulmans. 
Le Hezbollah, qui est devenu une force militaire incontournable aux moyens matériels supérieurs à ceux de l’armée libanaise, a acquis une grande influence politique au sein de l’alliance du 8 mars. Par intérêt politique et par stratégie dictée par l’Iran, la milice a décidé pendant plusieurs mois de plomber l’élection présidentielle en désertant le parlement le jour de l’élection. Elle voulait remettre en cause la Constitution du Liban adoptée le 23 mai 1926 et modifiée à la suite de l'Accord de Taëf du 23 octobre 1989, qui prévoit un système multiconfessionnel sur la base d’une troïka mise en place pour que le contrôle du pays soit assuré par trois dirigeants issus des trois confessions majoritaires du Liban : président maronite, premier ministre sunnite et président de l'assemblée chiite.
Le Hezbollah n'avait pas souscrit à cette répartition du pouvoir puisqu'il en était exclu. Il a donc joué la déstabilisation du gouvernement entraînant a fortiori celle du pays. Il s’agissait pour lui de s’opposer par tous les moyens à une éventuelle élection du chrétien Samir Geagea, chef des Forces Libanaises, soutenu par le leader des Kataëb, Amine Gemayel. Les islamistes ont alors joué la montre car ils avaient intérêt à ce que les délais imposés par la Constitution soient dépassés. Si l’élection n’intervenait pas dans les délais, l’article 62 de la Constitution donnait au gouvernement des compétences présidentielles en cas de vacance. Le Hezbollah y voyait un moyen d’influer sur le cours politique puisque ses amis participaient au gouvernement formé le 14 février 2014.
Hezbollah

Dans le cadre d’une stratégie de terre brûlée pour gêner toute évolution politique, le Hezbollah a organisé le vide politique au Liban pour mieux tirer les ficelles. Il avait pourtant le moyen d’influer sur le cours de la politique en appuyant la candidature du général chrétien Michel Aoun dont il est devenu l’allié. Ce général a montré d’ailleurs que la morale en politique n’existait pas puisqu’il a été longtemps un fervent opposant à la Syrie, en particulier durant son exil à Paris, pour en défendre ensuite les intérêts.
Le Hezbollah a tout fait pour augmenter son influence au Liban au sein du pouvoir exécutif. Il ne se contente plus de sa situation minoritaire. En fait il veut casser la répartition paritaire du pouvoir entre chrétiens et sunnites pour obtenir un système communautaire équilibré où les chiites auront leur véritable place : trois tiers réservés aux chrétiens, aux sunnites et au chiites. Ces derniers occuperaient alors un pouvoir nettement plus important dans l’exécutif aux côtés des maronites et des sunnites.
Palais de Baabda

Le Hezbollah voudrait obtenir le commandement en chef de l’armée, habituellement réservé à un maronite, avec à la clef une intégration des milices islamistes au sein de l’armée. Le noyautage islamique serait ainsi définitivement réalisé avec pour conséquence la mise sous tutelle de l'armée, le contrôle militaire du Sud-Liban et la création d’un nouveau satellite de l’Iran à la frontière avec Israël.
Le Hezbollah ne cache plus ses ambitions pour phagocyter un Liban face à la passivité totale des Occidentaux, occupés ailleurs. Il fait partie intégrante de l’armée iranienne et il reste sous la domination et l'influence des Pasdaran, au même titre que les islamistes d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan et du Yémen. L’Iran a profité de la fin de la tutelle syrienne sur le Liban, qui a duré trente ans, pour organiser sa propre mainmise en usant de manipulation, de blocage des institutions et du chantage des armes.

Il est loin le temps où l’aviation syrienne détruisait le palais présidentiel et où Michel Aoun choisissait de se réfugier le 13 octobre 1990 à l’ambassade de France. Il va donc à présent réintégrer le palais de Baabda. Le chef de l’armée libanaise de 1984 à 1990, puis premier ministre de 1988 à 1990 ne voit aucun paradoxe dans le fait que le Hezbollah, allié de la Syrie et de l’Iran, lui ait permis d’accéder à la présidence. 
Le président Aoun a toujours cru en son étoile même quand il avait été défait par les Syriens qui l’ont forcé à un exil en France de quinze ans et quand il avait accepté une alliance avec le Hezbollah en 2006 qui sonnait le glas à ses ambitions présidentielles.  Mais il doit son ascension à son charisme qui l’a positionné au centre de la communauté chrétienne, muette quand il s’est réconcilié avec Bachar al-Assad, l'assassin présumé de Rafic Hariri, qui le reçut à Damas en 2008. Il avait conçu la stratégie de l’alliance avec le Hezbollah au moment de la guerre avec Israël en 2006 pour aujourd’hui se faire adouber par Hassan Nasrallah. Ce fut un bon calcul.

Michel Aoun est pourtant une exception car rien ne le prédestinait à occuper des hautes fonctions, ni militaires et ni politiques. Né en 1933, fils de boucher, il s’était lancé dans la carrière militaire et était destiné à gravir les échelons dans l’ombre, en obscur officier d'artillerie. Il fit parler de lui en 1983 lorsque sa brigade résista aux milices et aux organisations palestiniennes soutenues par la Syrie, dans les montagnes de Souk al-Gharb, à l’est de Beyrouth. Cette victoire le mena à la direction de l’armée puis à la tête d’un gouvernement militaire provisoire en 1988.  
Sa stratégie fut alors de mener une guerre de libération contre les Syriens qui avaient installé 40.000 de leurs soldats au Liban. Mais il échoua après des mois de combats et des centaines de morts ce qui le brouilla avec la milice chrétienne des Forces libanaises dans une guerre fratricide. Michel Aoun refusa d’accepter les accords de Taëf qui réduisait ses prérogatives et il fut donc délogé du palais présidentiel par les Syriens pour une longue absence de quinze années.
Il reprendra le combat à son retour d’exil en 2005 après le retrait de l’armée syrienne du Liban.  Son parti CPL (Courant Patriotique Libre) gagnera les élections législatives dans toutes les régions chrétiennes. Mais l’on se méfie de cet exilé et de son ambition puisqu’il sera écarté du gouvernement. Cette maladresse de ses amis politiques le poussera, plus par dépit que par calcul, dans les bras de la Syrie et du Hezbollah, les seuls à pouvoir lui ouvrir les portes de la présidence.
Nasrallah et Rafic Hariri


Ce sera Saad Hariri qui appuiera enfin sa candidature à la présidence en échange du poste de premier ministre.  C’est un bon compromis pour les deux qui verra donc un soutien du Hezbollah et de l’Iran au sommet de l’État et un ami de l’Arabie saoudite à la tête du gouvernement. Il ne reste plus qu’à attendre les élections législatives de 2017 pour voir si cette alliance a bien fonctrionné.

3 commentaires:

V. Jabeau a dit…

M. Benillouche, merci pour vos articles qui sont le plus souvent éclairants pour le court et long terme, pertinents et bien documentés, basés sur des faits que vous savez lire.
Même vos articles parfois critiques sur Israël sont le plus souvent justes, et la politique israélienne comme toutes les autres n'est pas exempte de critiques.
Ce qui interpelle, c'est que votre collaboration avec Slate soit fondée sur ces seuls articles critiques, et encore lorsque ils traitent uniquement des implantations. Je sais que c'est vraisemblablement la ligne éditoriale de ce magazine en ligne, qui n'est pas le pire contempteur d'Israël, mais ça reste troublant. Par exemple, votre article d'aujourd'hui qui explique les manœuvres délétères pour la région de l'Iran, ne sera jamais repris en France, et comme vous dites les Occidentaux feront comme s'ils n'avaient pas compris.
Mais pourquoi vous prêtez-vous à ce jeu ?

Eric LEBAHR a dit…

Le mutisme des occidentaux, notamment de Obama, devant ces grandes manœuvres de l'Iran, est coupable, lache... Un Iran très renforcé déjà , par l'accord sur le nucléaire...Obama s'est désintéressé de la région , la nature ayant horreur du vide, les vides sont comblés...

Jacques BENILLOUCHE a dit…

@V.JABEAU

Il ne faut voir aucune quelconque censure dans ce qui est publié ou non dans Slate.

Pour des raisons de structure interne imposant des délais de publication, Slate préfère les articles intemporels non liés à l’actualité immédiate. En effet vous pouvez constater que chaque article comporte des mots soulignés qui renvoient à des liens explicatifs. C'est du boulot.

C’est la finalité de mon blog Temps et Contretemps de publier dans la journée un article «chaud» comme celui sur le Liban. L'article sur le Liban aurait été périmé dans trois jours.

Étant correspondant en Israël, je réserve en priorité à Slate les articles qui touchent le pays et je peux vous assurer qu’ils sont publiés en l’état et que je ne m’autocensure pas (226 articles depuis 2010). D’autres chroniqueurs sont mieux placés que moi pour parler du Moyen-Orient.

L’actualité est très calme en Israël, sauf celle qui est redondante, et de ce fait tous mes collègues correspondants souffrent devant une page blanche.

Enfin mon blog est référencé par Slate ce qui permet aux lecteurs de se connecter à mes articles.

Merci pour votre commentaire.