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dimanche 15 janvier 2017

Tsahal fragilisé par les nationalistes juifs



TSAHAL FRAGILISÉ PAR LES NATIONALISTES JUIFS

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps 

            
Eizenkot et Netanyahou
         
          La seule institution qui a toujours été à l’abri des critiques, l’Armée de Défense d’Israël plus connue sous son acronyme de Tsahal (Tsva Haganah le Israël), est actuellement déstabilisée. L’armée populaire de jeunes conscrits qui donnent trois années de leur vie à l’État, ou cinq années pour les candidats officiers est contestée alors qu’elle était unanimement reconnue comme le creuset de l’élite sociale. 
Cliquer sur la suite pour voir la vidéo de Azria




          Le pays qui, depuis sa création en 1948 vit en état de siège permanent avec de rares pauses, connaît aujourd’hui des doutes et cela est grave pour la sécurité d’Israël. Depuis la guerre d’indépendance de 1947/49, qui avait fait 6.000 morts représentant 1% de la population de l’époque, le pays a tout investi pour consolider sa défense afin de limiter ses pertes parmi la fine fleur de sa jeunesse. L’une des meilleures armées du monde est à présent dans la tourmente.
            Tsahal ne peut pas se permettre une quelconque rupture avec le peuple parce qu’il constitue le lieu où les populations venues du monde entier parviennent à s’intégrer grâce à son rôle de melting pot identitaire. 200.000 soldats sont mobilisés en permanence et 500.000 réservistes peuvent immédiatement entrer en guerre le cas échéant. Tsahal joue la carte de la jeunesse pour permettre le renouvellement. D’ailleurs les jeunes généraux partent à la retraite jeunes mais occupent ensuite souvent dans le civil une place de premier rang soit dans la politique, soit dans les grandes institutions de l’État. 
Tsahal et la cyberguerre

          Tsahal est une armée de combattants et son succès est tel qu’une seule candidature sur quatre est acceptée dans les unités de choc tandis qu’une minorité de conscrits s’oriente vers les postes de «cols blancs» à savoir dans l’informatique, le renseignement et la cyberguerre. Rares sont les jeunes jobnik qui choisissent des postes planqués à l’arrière, loin du risque de la guerre. La raison essentielle est que l’intégration à une unité combattante permet souvent un ascenseur social qui compense un handicap social.

            Mais toute cette structure risque de s’effondrer à la suite de l’affaire du sergent Elor Azria que les nationalistes ont adoubé comme symbole de leur lutte. Azria a été condamné, sur la foi d’une vidéo et des témoignages de ses supérieurs, pour avoir achevé à froid, le 24 mars, un terroriste blessé à terre et désarmé, Yusri al-Sharif. Tsahal justifie cette décision car il a toujours défendu une véritable éthique dans ses rangs pour que, même en temps de guerre, les soldats aient un comportement digne. L’extrême-droite, souvent raciste à l’égard des Arabes, est partie au combat pour exiger l’acquittement du soldat qu’on ne peut pas accuser d’avoir éliminé un tueur.

            Une scission s’est créée parmi les dirigeants israéliens.  D’une part, Netanyahou a pris fait et cause pour Azria en faisant perdre à Tsahal la bataille de l’éthique. Il a été jusqu’à demander la grâce présidentielle avant même que le tribunal ne se soit prononcé sur la peine finale. D’autre part, tous les chefs militaires sont respectueux de la décision du tribunal militaire qui, a l’unanimité des trois juges, a considéré le sergent «coupable d’homicide involontaire», faisant d’ailleurs abstraction que l’acte avait été délibérément effectué devant témoins.
            La famille du soldat a été mal conseillée par une extrême-droite qui voulait en découdre en exploitant cet acte à des fins politiques. La publicité qui en a été faite a nui à la sérénité du procès. L'affaire aurait pu se régler simplement dans le secret des prétoires sachant que les tribunaux sanctionnent certes les coupables mais en faisant preuve, solidarité oblige, d’une certaine indulgence. Mais face à l’opinion internationale et aux pressions du clan nationaliste, les juges ont appliqué la loi avec rigueur.
Le nationaliste Michael Ben-Ari manifeste pour Azria

            Convoqué par la Commission des affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, le chef d'État-major Gadi Eizenkot a tenu à avertir la classe politique que la plus grande menace qui pèse sur Tsahal ne provient pas des armées étrangères mais de la perte de confiance du public dans l'armée et ses chefs. Le ministre de la défense, Avigdor Lieberman, qui avait au départ été hésitant, a rejoint les chefs militaires en exhortant les citoyens à rester silencieux sur le verdict sans oublier cependant de rappeler qu’Azria était un «excellent soldat et que le terroriste est venu à assassiner des Juifs. Nous faisons tout pour protéger les valeurs de l'armée israélienne tout en protégeant simultanément Alor Azria. Tout le reste peut causer des dégâts».
Eizenkot avec à droite Eyal Zamir 

            Tous les chefs militaires ont entériné les réquisitions du procès. Le commandant de la région sud, le général de division Eyal Zamir, a commenté le verdict «en affirmant qu’Azria avait commis une infraction pénale et que l'armée israélienne ne peut pas compromettre ses valeurs, ou perdre sa moralité. En tant qu’officiers, nous ne devons pas avoir peur de faire des déclarations morales claires. Un soldat prête allégeance à l’État et à ses institutions. Ce serment ne comprend pas l’allégeance aux réseaux sociaux», allusion à la campagne sur Facebook.
            Dans cette affaire, tous les observateurs ont noté le faible soutien que Gadi Eizenkot a reçu de la part du premier ministre. Pour la première fois, des hauts responsables politiques tentent de délégitimer la position du chef de l’armée, pour des raisons strictement politiques, afin de donner un gage aux nationalistes du gouvernement. La campagne d’incitation est lancée, suivie de menaces à l’extérieur du Tribunal. Fait inédit, des gardes du corps protègent les trois juges contre des actions de Juifs tandis que des menaces de mort sont ouvertement proférées par une foule en délire : «Gadi! Gadi! Fais attention! Rabin est à la recherche d'un ami!» en référence à l’assassinat de Rabin en 1995.
Manifestation et menaces à l'extérieur du Tribunal

            Netanyahou a pris des risques en suscitant une fracture au sein de la population parce qu'il ne soutient pas ouvertement l’armée du peuple. Devant ce silence, la capitaine Ziv Shilon qui a perdu ses deux bras dans une action militaire à Gaza en 2012 s’est élevé contre la passivité du premier ministre : «Je ne pleurais jamais dans les moments les plus difficiles, moments que je ne souhaite à personne. Mais aujourd'hui, je suis assis là et brisé par mes sanglots. Je pleurais pour le peuple d'Israël, qui est lui-même déchiré en lambeaux avec cette haine sans précédent. Je pleurais pour les mains que j’ai laissées à Gaza. Et je me suis demandé, pour la première fois dans ma vie, si cela valait la peine se battre pour une nation qui se hait».
Capitaine  Ziv Shilon

            Mais Gadi Eizenkot n’est pas seul puisque les cinq précédents chefs d’État-major, unanimes, Benny Gantz, Shaoul Mofaz, Gabi Ashkenazi, Dan Haloutz et Moshe Yaalon, le soutiennent.  Les généraux israéliens prônent la fidélité aux valeurs de l’armée. Ils ont défendu le verdict prononcé et appelé les soldats israéliens à conserver un comportement moral. Des anciens officiers de l’unité d’élite de commando Matkal ont réagi : «Nous soutenons le chef d’État-Major qui se tient debout face aux lignes de front, en défendant l'esprit et les valeurs de l'armée israélienne. Nous tendons nos bras pour le soutenir car il fait face à ceux qui le menacent». Le ministre de  la défense Avigdor Lieberman a insisté, face à l’incitation des politiciens de droite, pour respecter la décision du tribunal militaire et pour que l’armée reste en dehors des joutes politiques. En effet derrière cette volonté d’absoudre Azria se profile une mobilisation générale, travaillistes exclus, pour justifier l’action du gouvernement dans les territoires.
Anciens chefs d'Etat-Major

            Mais les nationalistes, qui traitent les juges de «gauchistes», ont utilisé ce procès pour détourner la réalité de la définition de la légitime défense. Ce fut le cas lors de l’attentat perpétré à Jérusalem contre un autobus de soldats qui ont été pris par surprise et qui ont mis un temps à réagir. Les partisans d’Azria ont alors estimé que la crainte des poursuites avait dissuadé toute velléité de riposte du côté des militaires qui étaient en danger et qui devaient réagir. C’est une affirmation sans fondement car il existe des règles précises d’engagement qui excluent de tirer sur un homme désarmé, même s’il vient de commettre un attentat. Jusqu’à présent l’armée s’y est conformée. Des officiers ont rappelé qu’ils n’avaient jamais succombé à la vengeance lors de la Guerre du Kippour de 1973 alors que durant les premiers jours il y eut une hécatombe parmi leurs amis : «Après des batailles sanguinaires, au cours desquelles un grand nombre de nos camarades ont perdu la vie, nous nous sommes retrouvés face à nos ennemis qui avaient levé leurs mains et étaient tombés sur les genoux. Nous sommes consciencieusement restés fidèles à la valeur de la pureté des armes, qui est un élément central de notre pouvoir et nous distingue de nos ennemis. Les victoires de l’armée israélienne sur le terrain sont basées, avant tout, sur la moralité et l’éthique qui caractérisent les opérations des soldats comme de leurs commandants».
            Cette fracture d’une élite nationaliste de droite avec l’armée risque d’entraîner des conséquences dramatiques car l'avenir d’Eizenkot dans l'armée israélienne risque d’être affecté alors qu’il met en œuvre son plan pluriannuel de sa conception. On parle de lui comme de l’un des meilleurs chefs d’État-major qu’Israël a connu. C’est un professionnel qui a reconfiguré l’armée israélienne pour les prochaines guerres. Il a obtenu tous les matériels dont elle avait besoin et il a montré une efficacité à toute épreuve en lançant des attaques audacieuses contre le Hezbollah en Syrie mais en restant digne des valeurs de l’armée et en se tenant loin de la politique.


            Mais la haine se répand. Dans une sorte de représailles, aucun membre du gouvernement n'avait pris part aux funérailles des militaires assassinés dans l'attentat de Jérusalem. C’est la preuve que tout est brisé. 
     La triste conclusion a été tirée par l’ancien ambassadeur d’Israël, Arie Avidor : «Il est révoltant de constater la volonté de certains d'exploiter ce lâche attentat à des fins de propagande afin de dénigrer, par des arguments mensongers, la décision des juges dans le procès Elor Azria. J'ajoute que ces procédés sont d'autant plus révoltants qu'ils émanent le plus souvent de milieux, en Israël ou dans la diaspora, dont les fils et filles ont fort peu de chances de porter un jour l'uniforme des cadets de l'école des officiers ou de toute autre unité de Tsahal».

2 commentaires:

Georges KABI a dit…

Faut-il rappeler que le Temple de Jerusalem fut detruit grace aux guerres intestines opposant les factions juives, quand la plus meurtriere d'entre elles, les Sicaires, reussirent a s'enfuir en Egypte?
Je ne sais pas si Tsahal est fragilise. Ce qui est sur, c'est que la composition de ses unites d'elite, la plupart des officiers intermediaires et quelques generaux sont issus du milieu sioniste religieux, ultra-nationaliste, souvent raciste et qu'ils remplacent les kibboutznikkim disparus avec la privatisation des kibboutz.
Bref, il y a un changement de ton, un changement de personnel, tout comme cela s'est fait dans d'autres secteurs de la societe israelienne.
Ce qui est sur aussi, c'est que le code ethique concocte par un penseur laic sera tres vite supprime et remplace par des versets extraits des Ecritures Saintes.

Bernard Meyer a dit…

"L'affaire aurait pu se régler simplement dans le secret des prétoires....", comme la Grande Muette?