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dimanche 7 janvier 2018

La révolution iranienne manque de leader


LA RÉVOLUTION IRANIENNE MANQUE DE LEADER 
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            

          La révolution iranienne ne peut pas réussir sans l’avènement d’un leader charismatique capable de représenter la diversité de la population. D’ailleurs l’échec des Printemps arabes était dû à l’absence d’un relais politique pour remplacer les dictatures. Les manifestations en Iran ont seulement révélé la situation conflictuelle existant entre les Conservateurs qui tiennent réellement le pays et les services de sécurité et les soi-disant modérés du président Rohani.



Khamenei et son Etat-major

            Il a fallu que le Guide suprême, Ali Khamenei, hausse le ton le 2 janvier pour que le calme revienne aussitôt sachant que les forces de sécurité ne sont pas des enfants de chœur. Et pourtant de nombreux rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes, à Touyserkan dans l’ouest du pays où six personnes ont été tuées, à Chiraz et à Kharadj, ville populaire et de classes moyennes située en périphérie de la capitale, ainsi qu’à Téhéran. Depuis, les media d’État ont dénombré au moins 21 morts tandis que plus de mille personnes ont été arrêtées, dont 450 à Téhéran.
            Les manifestants n’avaient aucune chance de réussir. D’ailleurs l’ouverture manifestée par le président Hassan Rohani, qui avait été sensible à la colère de ceux qui dénonçaient la stagnation économique et politique du pays, a été vite contrée par le Guide qui a marqué les esprits en accusant l’étranger d’infiltrer la population et d’utiliser «l’argent, les armes, l’influence politique et leurs services de renseignement pour peser sur les événements».


            La maladresse de Donald Trump et du Département d’État, qui se sont précipités à encourager les protestataires, a discrédité et effrayé les contestataires et empêché toute propagation de la contestation. Même l’ex-président Mohammad Khatami, n’a rien pu faire face à un mouvement sans leader et il a été forcé de condamner «les fauteurs de troubles» et la «profonde duperie» des Etats-Unis pour ne pas subir les foudres des autorités.
            Bien que l’ensemble du monde occidental ait été pris au dépourvu par le déclenchement soudain de manifestations à Mashhad, Qom et dans d’autres villes de province, Donald Trump et Benjamin Netanyahou ont accueilli la nouvelle avec emphase. Netanyahou a critiqué l’establishment religieux : «Je souhaite au peuple iranien du succès dans sa noble quête de liberté. De courageux Iraniens affluent dans les rues. Ils veulent la liberté. Ils veulent la justice. Ils veulent les libertés fondamentales qui leur étaient refusées depuis des décennies. Le régime cruel de l’Iran gaspille des dizaines de milliards de dollars à propager la haine. Quand ce régime tombera enfin, et un jour il tombera, les Iraniens et les Israéliens seront de nouveau de grands amis». C’était un peu prématuré puisque la révolution a été étouffée dans l’œuf. Dans une déclaration anticipée l’Américain et l’Israélien ont obtenu l’effet inverse en suscitant l’appel au rassemblement de toute la population contre les ennemis étrangers, ce qui est la pierre angulaire des régimes dictatoriaux.
Maryam Radjavi,chef des Moudjahidine du peuple
       
            Les Moudjahidine du peuple, principal groupe d’opposition en exil en banlieue parisienne, ont été peu entendus car ils ont reçu l’ordre du gouvernement français d’éviter «d’encourager la violence» à la veille du voyage du président Macron.
            Le Tribunal révolutionnaire de Téhéran n’est pas allé de main morte lui-aussi puisqu’il a menacé de la peine de mort les agitateurs qui chantaient des slogans hostiles au guide et aux Conservateurs qui ont d’ailleurs rejoint les critiques de la rue contre Rohani, accusé d’être responsable des mauvais résultats économiques. Le président a effectivement déçu ceux qui croyaient que l’accord de 2015 sur le nucléaire allait permettre une reprise économique. La confiance dans sa capacité à résoudre les problèmes a disparu.

            Mais les mouvements de protestations ne sont ni organisés, ni dirigés par un vrai leader. C’est certes un problème pour les manifestants mais aussi pour le pouvoir en place. Le mécontentement est diffus et profond mais s’il n’est pas géré, il peut vite tourner en mouvement de type révolutionnaire. En absence de leader, le régime ne voit pas de mot d’ordre clair qui peut lui permettre de riposter avec efficacité.
            En réalité, il suffisait de laisser mûrir cette perte de confiance qui s’est développée entre les Conservateurs et les modérés. Des institutions étatiques et des fondations religieuses ainsi que le clergé étaient vent debout depuis que Hassan Rohani les avait frontalement accusés de piller les deniers publics. Il avait demandé aux parlementaires de «réduire les financements de ces institutions, dont personne ne sait qui a la charge».
            La rupture est totale entre la population et ses dirigeants de tous bords. Les élites sont attaquées et l’on ne voit pas comment peuvent être engagées de véritables réformes. Il est prématuré de mesurer les conséquences de ces troubles dans le pays. Les forces de sécurité ont entamé une contre-attaque qui a causé des morts car ils savent qu’ils seront les premières victimes en cas de chute du régime.
            Dans l’attente d’un véritable leader de l’opposition, la technique consiste à se montrer discret lorsque le régime semble vaciller. Il ne faut pas l’aider à se distraire de ses problèmes. Sans intervention extérieure, la population n’a pas d’autre choix que de se concentrer sur le régime qu'Israël et les États-Unis ont peut-être aidé à s’en sortir en intervenant; ils ont torpillé le mouvement de libération de l’Iran. Ces deux pays donnent l’impression qu’ils s’adressent plus à leur public national qu’au public iranien.
            L’avenir est incertain car les manifestants de 2017 sont complétement différents de ceux de la révolution verte de 2009. Ceux d’aujourd’hui sont largement non hiérarchisés, mécontents et apolitiques. Leurs demandes sont radicales et contradictoires et pas canalisées par un chef incontestable. Soit les manifestants arrivent à balayer tout sur leur passage comme un tsunami, soit, comme en 2009, ils rentrent dans le rang et choisissent de se faire oublier jusqu’à l’arrivée d’un Messie politique.


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